25 juin 1998 |
Bernard Quemada appelle au combat pour la langue.
"Si nous parvenons à développer à temps, et en français, les nouvelles technologies informatiques, elles seront l'une de vos armes privilégiées pour maintenir la présence de notre langue dans les sciences, les techniques, l'économie, c'est-à-dire là où elle est la plus menacée. Or, si demain la science et l'innovation ne s'écrivaient plus en français, ce serait une immense perte culturelle pour tous les francophones puisque cela voudrait dire qu'à brève échéance, on ne pourrait plus penser la science nouvelle en français."
Le linguiste Bernard Quemada a tiré la sonnette d'alarme du péril du français comme langue de communication internationale à l'occasion de la cérémonie de collation des grades des facultés d'Aménagement, d'architecture et des arts visuels, des Lettres et de Musique, qui se tenait dans le stade couvert du PEPS, le dimanche 14 juin à 16 h.
"La volonté de servir le français comme de se servir du français si fortement exprimée face à une compétition des langues de plus en plus active dans la société de l'information et de la communication, fait de votre conviction, amis Québécois, un atout essentiel pour la communauté de langue française tout entière. Les résultats remarquables de votre politique linguistique en témoignent assez", a lancé d'entrée de jeu le récipiendaire d'un doctorat d'honneur en lettres.
Les sentinelles de l'aire
"Nous avons d'autant plus besoin de vous et de l'esprit combattif
qui vous tient en alerte et fait de vous les véritables sentinelles
de la langue française", devait-il renchérir, regrettant
que trop de Français "s'endorment au souvenir du glorieux passé
de leur langue alors qu'elle est aujourd'hui en détresse dans des
domaines d'activités essentiels".
Bernard Quemada a ainsi appelé les nouveaux diplômés au combat pour la langue, un combat qui n'est pas seulement affaire de linguistes et d'institutions, mais qui concerne tous ceux qui ont à écrire et à s'exprimer dans le cadre de leurs activités professionnelles, qu'ils soient enseignants de toutes disciplines, intellectuels, chercheurs, créateurs ou communicateurs.
La dynamique de mondialisation peut, par ailleurs, avoir des effets négatifs ou pervers sur toutes les langues, même sur celles qui paraissent aujourd'hui les plus fortes, juge-t-il. On ne peut, selon lui, accepter sans réagir de perdre la richesse que représente la diversité des modes de pensée façonnés par la diversité des langues.
Le vice-président du Conseil supérieur de la langue française (France) se fait donc l'apôtre du plurilinguisme international. "Il n'y aura de véritable plurilinguisme effectif que lorsque chacun pourra parler et écrire dans sa langue et être compris de ses interloculeurs, d'où l'urgence de promouvoir l'enseignement de l'intercompréhension et pour nous, en priorité, entre langues latines", se prononce-t-il. Les intellectuels et les cadres québécois qui vont fonctionner à l'intérieur d'un cadre socio-économique devenu trilingue avec l'espagnol auront à jouer là encore, aux dires de Bernard Quemada,un rôle de pionnier et de premier plan.
L'autorité du discours
C'est à une remarquable allocution sur l'autorité qu'a eu
droit d'autre part, en cette matinée du dimanche 14 juin, l'auditoire
qui assistait, pour les uns, ou qui participait, pour les autres, aux collations
des facultés de Philosophie, des Sciences de l'éducation,
de Théologie et de sciences religieuses, et de la Direction du baccalauréat
multidisciplinaire.
Honoré par la Faculté de théologie et de sciences religieuses, André Gounelle a disséqué un quart durant, avec rigueur et acuité, le problème de l'autorité vue sous son rapport avec une compétence, un savoir ou un savoir faire, puis quand celle-ci se rapporte à un pouvoir, pouvoir de décider, de commander ou d'interdire. On oublie trop souvent, déplorera le professeurs titulaire de la Faculté de théologie protestante de Montpellier, le troisième aspect de l'autorité dont la fonction consiste non pas à interdire, mais à autoriser.
"Dans le cas de la vie de l'intelligence et de celle de la foi, dans le domaine de l'éducation, cette troisième sorte d'autorité me paraît l'emporter nettement, estimera-t-il. Ici, l'autorité consiste à apprendre à penser, à juger, à élargir des horizons, à susciter la créativité, à pousser à aller plus loin et non à restreindre, à empêcher ou à limiter." L'autorité des professeurs, des philosophes et des artistes, comme celle des religeux, poursuivra-t-il, réside en ce qu'ils donnent, rendent possible et contribuent à la formation de la conscience et de la responsabilité.
"Il ne saurait être question évidemment de supprimer ou de disqualifier les deux premiers types d'autorité: celle de la compétence, qui sait et qui sait faire; celle du pouvoir, qui décide et qui commande. On ne peut s'en passer; elles rendent d'immenses services. Mais ce que je souhaite et ce que je souhaite particulièrement aux diplômés qui vont entrer dans la vie, qui vont exercer de par leur diplôme une certaine autorité c'est que dans notre manière de vivre l'autorité (celle qui s'exerce sur nous, celle que nous exerçons sur d'autres), les aptitudes techniques et les fonctions de commandement soient mises au service de ce développement de l'être humain qui donne leur raison d'être et leur noblesse à toutes les formes d'autorité", devait confier André Gounelle. (On trouvera le texte intégral de l'allocution d'André Gounelle en page ? du présent numéro du Fil)
Quatre collations
Le stade couvert du PEPS aura été le théâtre
de quatre cérémonies de collation des grades, les 13 et 14
juin.
Présentée le samedi 13 juin à 10 h 30, sous la présidence d'honneur de Andrée Brunet, jusqu'à tout récemment présidente-directrice générale de la SSQ-Société immobilière inc., la collation de la Faculté des sciences de l'administration a été l'occasion d'un hommage honorifique à Bernard Roy, spécialiste de la recherche opérationnelle et de l'aide à la décision et professeur à l'Université de Paris-Dauphine.
La séance de collation des facultés de Droit, des Sciences sociales et de l'Institut québécois des hautes études internationales a suivi à 16 h 30. Louis Balthazar, de la Faculté des sciences sociales y a été proclamé professeur émérite. Christian Louit, président de l'Université de droit, d'économie et des sciences d'Aix-Marseille III, et Renaud Sainsaulieu, sociologue et professeur à l'Institut d'études politiques de Paris, ont alors revêtu l'épitoge réservée aux récipiendaires d'un doctorat honorifique. Frédéric Laugrand, étudiant au doctorat en anthropologie, s'est vu remettre la Médaille d'or du Gouverneur général du Canada.
La série des collations de grades de 1998 a pris fin le dimanche 14 juin avec la présentation des deux cérémonies auxquelles ont participé, en avant-midi, les facultés de Philosophie, des Sciences de l'éducation, de Théologie et de sciences religieuses, et la Direction du baccalauréat multidisciplinaire, et en après-midi, les facultés d'Aménagement, d'architecture et des arts visuels, des Lettres et de Musique.
En matinée, l'Université a décerné un doctorat en théologie honoris causa à André Gounelle. Jaromir Danek, professeur à la Faculté de philosophie, et Aimée Leduc, professeure à la Faculté des sciences de l'éducation, ont été proclamés "émérite". Stéphanie de Champlain, finissante au baccalauréat en enseignement au préscolaire et au primaire, a mérité la Médaille d'argent du Gouverneur général du Canada. Daniel Oliva, du programme de maîtrise en technologie de l'enseignement, a reçu pour sa part la Médaille d'or du Gouverneur général.
Deux doctorats honorifiques ont été remis, à la fin de l'après-midi, à Bernard Quemada (docteur en lettres) et Fernand Lindsay, fondateur et directeur artistique du Festival international de Lanaudière (docteur en musique). Antonio Risco (à titre posthume) et Roland Sanfaçon, de la Faculté des lettres, et Jeanne Landry, de la Faculté de musique, ont été reconnus comme professeurs émérites.
Plus de 7 000 diplômes ont été décernés, cette année, à l'Université Laval. Quelque 5 600 parchemins ont ainsi été délivrés au baccalauréat, 1 475 à la maîtrise et 224 au doctorat.