11 juin 1998 |
Zoom
Au départ, Frédéric Demers voulait faire son mémoire de maîtrise sur "le rapport entre l'oral et l'écrit au XVe siècle", un bon sujet somme toute et qui en valait bien d'autres. Après avoir beaucoup lu sur le sujet et fin prêt à commencer la rédaction de sa recherche, cet étudiant en histoire s'est toutefois rendu compte que la question médiévale au programme l'intéressait finalement très peu. Au hasard d'une conversation avec Jocelyn Létourneau, professeur au Département d'histoire, Frédéric Demers se prend bientôt d'une passion dévorante pour un autre sujet, celui de "l'identité québécoise par la chanson" et jette son dévolu - intellectuellement parlant - sur notre star nationale, Céline Dion, la petite fille de Charlemagne actuellement hissée au rang de chanteuse la plus populaire au monde.
"Céline Dion témoigne admirablement de la capacité de réussite des Québécois, constate Frédéric Demers. À travers elle, c'est tout le Québec qui s'affirme. D'origine plutôt modeste, provenant d'une famille de 14 enfants, elle évoque le souvenir d'un certain héritage culturel, du temps où la famille était soudée et omniprésente au Québec. Quand Céline Dion parle de sa "grosse famille" dans les journaux, cela nous interpelle au plus profond de nous et touche notre mémoire collective. Et puis, c'est très sécurisant de savoir que ce type de famille existe encore."
Pour les fins de son mémoire de maîtrise intitulé "La petite fille de Charlemagne parmi les grands! Céline Dion et la conciliation des ambiguïtés identitaires du Québec contemporain", Frédéric Demers a relevé tout ce qui s'est écrit sur la célèbre chanteuse depuis 1992 dans les journaux - La Presse, Le Soleil, Le Devoir, Le Journal de Québec, Le Journal de Montréal, Le Droit, L'actualité et l'édition montréakaise de Voir - pour conclure que les médias écrits concouraient à faire de Céline Dion un symbole éclatant de réussite, qui comme une comète, entraîne dans son sillage des milliers de Québécois fiers de son succès.
"Au fur et à mesure que la popularité de Céline Dion s'accroît, les titres des articles la concernant se modifient, souligne Frédéric Demers. Ainsi, on ne parle plus de "Céline Dion" mais de "Céline" tout court, comme si on éprouvait le besoin de s'approprier le personnage et de l'enraciner encore davantage dans notre mémoire collective. Dans les articles, les journalistes vont parler, par exemple, de "notre Céline nationale". De plus, les propos de Céline Dion vont souvent être cités sans être épurés, avec leurs anglicismes, pour bien montrer que la vedette demeure fière de ses origines. Qui plus est, la chanteuse ne change pas son accent, qu'elle soit en France ou au Québec, fait que les journalistes vont faire ressortir dans l'article. Finalement, la simplicité proverbiale de Céline va être mise en évidence. Et on s'empressera de rapporter que la star a répondu qu'elle aimerait bien manger des binnes en regardant la télévision, en réponse à un journaliste qui lui demandait ce qu'elle ferait si elle n'était pas en tournée.
Selon Frédéric Demers, un seul journal ne serait pas sympathique à Céline Dion: il s'agit du journal Voir (Montréal) qui, lui, dénigrerait le plus souvent l'artiste, la considérant comme un produit culturel insignifiant, citant complaisamment le fait qu'elle n'ait jamais mis les pieds dans un musée, bien que l'information provienne de la principale intéressée. Vouant une admiration sans bornes à Céline Dion, Frédéric Demers se dit un peu déçu de l'attitude de ce "journal élitiste", face à une artiste reconnue pour son talent à travers le monde. N'ayant jamais rencontré Céline Dion et n'ayant jamais cherché à le faire, il ne possède lui-même aucun des disques de l'artiste, étant plutôt porté vers le rock alternatif, musicalement parlant. Preuve que tous les goûts sont dans la nature...