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14 mai 1998 ![]() |
Des élans du genre "je te bécassine partout" à son "grand lit confrottable" le personnage créé par Marc Favreau donne parfois l'impression qu'il a grandi.
En 40 ans d'existence, Sol nous en a fait entendre de toutes les couleurs avec ses calembours détonnants et ses jeux de mots tordus. Naïf à l'extrême, le personnage créé par Marc Favreau peut se permettre de tout dire, sous le couvert de cette naïveté désarmante qui constitue sa marque de commerce. Mais malgré son air bon-enfant, Sol ne serait pourtant pas resté aussi enfant qu'on voudrait bien le croire, a expliqué Caroline Garand, chargée de cours au Département des littératures, dans le cadre d'un colloque portant sur l'humour québécois. En témoignent certains monologues où notre clochard national s'éloigne carrément de son personnage, donnant dans la pure grivoiserie. Ce dérapage contrôlé représente pourtant un accident de parcours dans un discours définitivement axé sur le fait social.
Des îlots d'amour
"Dans toute la production de Favreau, Le solide à terre
est le seul monologue entièrement dédié au thème
des relations amoureuses dans leurs dimensions émotive et charnelle,
a souligné Caroline Garand. Dans ce monologue, Sol explique qu'il
a eu une enfance "mâle et heureuse", avant de raconter l'émotion
ressentie lors de sa première (et seule) demi-journée d'école:
"J'avais le coeur qui pilpatait/ et les spatules qui grelottaient/
J'étais tout tumide devant la demoiselle/ Faut dire que c'était
ma première maîtresse alors." De Sollange, pour qui il
a eu le coup de foudre, Sol dira que c'est "une belle grande grassouilleuse
esstradinaire vermouilleuse sensalionnelle". "Tout de suite, j'ai
senti mon inflation", précise-t-il, en parlant de l'effet que
lui a fait la femme en question. S'imaginant être son "aimant",
il rêve d'un "apparfaitement luxurieux" contenant "un
grand lit confrottable/ un beau grand libido".
La tour infernale
Dans un monologue intitulé Couchemard sur une psycatalogne, Sol parle
à nouveau du désir qu'il éprouve pour la femme, à
travers un rêve qu'il a fait, mais dans lequel il refuse de passer
à l'acte sexuel proprement dit. ("Alors là non j'ai dit
non et je m'a sauvé"). Après cette "fuite",
il faudra attendre Cinémalomanie pour entendre de nouveau Sol parler
du désir de la femme, précise Caroline Garant. Et là,
quel délire amoureux et verbal! Après une succession d'innocents
lapsus du genre "allons mener menre sur la bucolline", Sol atteint
en effet dans ce monologue un état second qui le mènera au
bord de l'orgasme: "Je te ventouse/ Je te donne ma pieuvre d'amour/
Je dracule pour mieux sauter/ Et je te grimpe et je te grimpe jusqu'en haut
de ma tour infernale/ pour que tu soyes fondue enchaînée."
"L'aspect le plus significatif d'une éventuelle évolution du personnage tient au fait que dans Le solide à terre et Couchemard sur une psycatalogne, les jeux de mots à connotation sexuelle s'attachaient à décrire le contexte de l'acte sexuel, alors que ceux de Cinémalomanie plongent dans le vif du sujet et s'intéressent à l'acte lui-même, dit Caroline Garant. Avant cette possession charnelle, Sol ne dépassait pas, ou très peu le seuil du "je la bécassine partout". Pour passer de "je la bécassine" à l'affirmation directe "je te grimpe", il est évident que Sol a dû un tant soit peu évoluer, bien que Marc Favreau ait toujours affirmé le contraire. Ici, il n'est plus question d'amourettes, mais de possession pure et simple de l'autre."