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14 mai 1998 ![]() |
Congrès des relations industrielles
Les syndicats américains, canadiens et mexicains rêvent de joindre leurs forces pour contrer les effets pervers de l'Accord de libre-échange nord-américain.
Cinq ans après l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), les syndicats américains, mexicains et canadiens dressent un bilan sévère des effets de cette intégration continentale économique sur les droits et les salaires des travailleurs. À l'invitation du 53e Congrès des relations industrielles, organisé par le Département de relations industrielles les 4 et 5 mai, plusieurs représentants syndicaux ont notamment débattu des stratégies à développer pour unir d'avantage leurs forces face à la globalisation des marchés.
Même si chacun des syndicats représentés à la table ronde du Congrès des relations industrielles reconnaissait la nécessité pour un pays d'entretenir de nombreux échanges commerciaux avec ses voisins, les répercussions de l'ALENA sur les économies nationales les inquiètent grandement. Claudette Carbonneau, vise-présidente de la CSN, a ainsi rappelé que, contrairement aux promesses du gouvernement canadien, la balance commerciale vers les États-Unis a diminué dans les premières années de l'entrée en vigueur de cet accord et que des dizaines de milliers de personnes ont perdu leur emploi. Même si d'autres facteurs - notamment la politique monétaire en vigueur au Canada dans les années 1990 - expliquent en bonne partie cette piètre performance, il reste que le libre-échange contribue grandement, selon la syndicaliste, à la croissance des inégalités entre Canadiens.
Pauvres et au travail
Citant quelques statistiques récentes, Ron Blackwell, directeur des
affaires corporatives pour le puissant syndicat américain AFL-CIO,
constate de son côté que même si les États-Unis
affichent le taux de chômage le plus bas depuis 20 ans, un employé
à temps plein sur cinq y vit en-dessous du seuil de la pauvreté.
Un chiffre qui a augmenté de 50 % depuis 10 ans. Il rapproche cette
dégradation des revenus des travailleurs des pressions constantes
exercées par les dirigeants d'entreprises pour demeurer compétitifs
face à la concurrence, l'ultime menace lors de négociations
avec les employés restant celle du déménagement de
l'usine au Mexique.
Le Sud-Est des États-Unis offrirait ainsi des salaires et des avantages sociaux inférieurs à ceux en vigueur dans le reste du pays. Les employés savent en effet pertinemment que leurs patrons n'ont qu'à franchir le Rio Grande pour bénéficier d'un tarif horaire mexicain huit à neuf fois moins élévé que celui en vigueur au Canada ou aux États-Unis. Selon Claudette Carbonneau, les patrons canadiens dans les secteurs des portes et fenêtres ou de la confection de vêtements invoquent d'ailleurs fréquemment la concurrence que leur font subir les entreprises mexicaines bénéficiant de faibles coûts de production, pour exiger que leurs salariés fassent preuve d'une flexibilité accrue. L'ALENA aurait eu également comme conséquence, à en croire la syndicaliste, la réduction substantielle du régime canadien d'assurance-chômage, puisque les employeurs jugeaient que ce programme trop coûteux nuisait à la compétitivité.
Que faire?
Même si les conséquences de l'accord commercial entre le Canada,
les États-Unis et le Mexique semblent assez dramatiques si on examine
la situation d'un oeil syndical, des signes d'espoir parsèment ce
sombre tableau. Bertha E. Lujan, membre du Frente autentico del Trabajo
(FAT), un syndicat mexicain indépendant du gouvernement, a ainsi
fait état de quelques initiatives prises par les organisations sociales
et syndicales de son pays afin d'exiger de meilleures conditions de vie
pour les travailleurs. Les syndicats n'hésitent pas, ainsi, à
porter plainte devant les instances de l'Accord nord-américain de
coopération en matière de travail (ANACT), l'accord parallèle
de l'ALENA, pour dénoncer des violations de liberté d'association
car il arrive que des travailleurs ne parviennent pas à se syndiquer.
Bien que l'ANACT ne dispose pas d'un réel pouvoir de décision, il offre une tribune à tous ceux qui subissent une privation de leurs droits entourant le travail. Les organisations syndicales du Nord et du Sud militent d'ailleurs activement afin que cet organisme puisse bientôt constituer une autorité supra-nationale, capable de faire respecter des normes du travail minimales dans la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) en émergence. Un sommet des peuples a d'ailleurs eu lieu en avril, à Santiago du Chili, alors que les chefs d'État réprésentant la plupart des nations des deux continents se réunissaient pour discuter de ce prochain accord commercial. Il s'agissait de proposer des alternatives économiques au modèle néolibéral en vigueur actuellement.
Une concertation accrue entre syndicats de pays différents, des campagnes communes pour exiger que les accords commerciaux comprennent des clauses reliés aux droits sociaux, des actions unifiées face aux multinationales, semblent donc constituer les ingrédients d'une recette que les mouvements syndicaux espèrent gagnante dans un proche avenir. Les syndicats savent en effet pertinemment qu'ils ont tout intérêt à regrouper leurs forces par-delà les frontières, puisque les lieux de travail deviennent toujours plus mobiles. Le délégué de l'AFL-CIO a d'ailleurs appelé de ses voeux "une grande lutte pour renverser la vapeur", dans une société où l'exclusion ne cesse de progresser. En conclusion à sa présentation, Ron Blackwell remarquait en effet que des millions d'Américains n'utilisent pas leur droit de vote et que leur colère monte face à l'injustice dont ils sont victimes. "C'est aux syndicats de retourner la situation pour éviter un affrontement", a-t-il fait valoir.