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14 mai 1998 ![]() |
LE MYTHE DU PLEIN EMPLOI
Je veux répliquer ici à l'article de monsieur Claude Beauchamp, intitulé: "Les démagogues du plein emploi. On essaie de nous vendre l'illusion socialiste selon laquelle il suffit de réduire la semaine de travail pour créer des emplois.. ", article publié dans L'Actualité le 1er mai 1998.
En invectivant les "illusionnistes" de la fin du travail, Claude Beauchamp escamote un certain nombre de faits saillants éludés par la science économique conventionnelle. Cette pensée, qui s'affiche comme un objet de raison pure, est structurée comme une religion. Au commencement était le Capital et quiconque parle de le réglementer profane le Divin et doit être voué aux gémonies Le ton employé celui du preacher hystérique pourfendant les démons socialistes ne relève sans doute pas du hasard, mais plutôt d'un souci d'adéquation entre le fond et la forme.
Premier constat: les économies des pays de l'OCDE généreront jusqu'à 40 millions de chômeurs au tournant du siècle, suivant en cela une progression d'environ 10 millions par décennie depuis les années soixante. On sait, par ailleurs, que le taux de sous-emploi passe du simple au double selon que l'on adopte une définition restrictive ou élargie du chômage. L'exemple des États-Unis 4,6 % de chômeurs officiellement qui permet de justifier n'importe quelle ânerie pourvu qu'elle chante les louanges du Capital, doit être analysé avec un peu plus de soin. Pourtant, le Council on International and Public Affairs (CIPA) a calculé un taux de chômage réel de 11,4 % aux États-Unis. L'Immigration américaine avoue elle-même son incapacité à déterminer le nombre d'immigrants clandestins sur son territoire. Les rumeurs administratives avancent des chiffres variant entre 5 et 25 millions de personnes. Il faut brûler d'une sacrée foi comptable pour prétendre évaluer un taux de chômage avec une précision de 1/10 % alors que 10 % de la population échappent aux statistiques.
L'impossible lutte au chômage commence à s'imposer au discours économiste puisqu'il est maintenant question d'un taux "naturel" de 7,5 % pour le Canada; le taux "naturel" étant le taux le plus faible compatible avec une inflation stable. Mentionnons qu'il serait de 10,5 % pour le Québec et de 16,5 % à Terre-Neuve. Pourquoi ces chiffres plutôt que d'autres? Parce que les Oracles le disent, bien sûr!
Deuxième constat: n'en déplaise à monsieur Beauchamp, la réduction du temps de travail est une tendance constante des sociétés industrielles, à l'exception de quelques "anomalies " dues à la guerre ou encore à la crise contemporaine qui oblige bon nombre de ceux qui bénéficient d'un emploi à allonger leur temps de travail. Cette tendance structurelle de la réduction du temps de travail n'est pas un trait ou un travers idéologique, c'est un fait observé dans toutes les sociétés industrielles, y compris les États-Unis d'Amérique. Du reste, la rhétorique néolibérale d'aujourd'hui est la même que celle des capitalistes du XIXe siècle qui affirmaient que 72 heures de travail par semaine étaient une donnée fondamentale qui avait force de dogme.
Troisième constat: Il est vrai que ce sont les syndicats qui ont tenu le flambeau de la réduction du temps de travail au prix d'une lutte épique contre le capital. Monsieur Beauchamp semble le déplorer, mais où en serions-nous aujourd'hui si cette lutte n'avait pas été menée? Puisqu'il aime les exemples, qu'il nous fasse la liste des économies fortes qui se sont développées sans la pression syndicale obligeant à une meilleure redistribution des richesses.Quatrième constat: avec l'automatisation progressive de la production, une nouvelle logique de l'investissement s'impose. L'investissement crée de l'emploi certes, mais en fonction décroissante des montants investis. On trouve un bel exemple de cette nouvelle logique dans le projet d'Alcan de deux milliards de dollars qui générera 225 emplois directs, soit un investissement de 8 888 888 dollars par emploi! En somme, plus on investit, plus on diminue les emplois stables et plus on augmente les emplois précaires. Sans parler du nombre grandissant des exclus. C'est ce que monsieur Beauchamp appelle, avec un sens de l'euphémisme qui frôle le jésuitisme, une "structure salariale souple". Il est vrai que la formule sonne mieux que "salaire de famine ".
Cinquième constat: la réduction du temps de travail, mais plus précisément l'aménagement et la réduction drastique du temps de travail, n'est qu'une dimension de la nouvelle révolution dans laquelle nous entrons. "La société de travail " est morte, affirme sans détour André Gorz que monsieur Beauchamp pourra toujours accuser de démagogie pour satisfaire à sa tâche de thuriféraire des puissances dominantes.
Bien sûr le mot utopie viendra à la bouche du même monsieur. Pourtant, ce qui est encore plus utopique, c'est de croire que l'économie occidentale continuera de croître à l'infini pour peu qu'on lui laisse la bride sur le cou. Ce qui est encore plus illusoire, c'est de croire que l'écart grandissant entre les riches et les pauvres se mettra miraculeusement à fondre dès que l'on abrogera les lois qui empêchent (si peu!) les premiers d'exploiter les seconds. En caricaturant à peine, on pourrait dire que, selon cette idéologie de la toute-puissance de la déréglementa-tion, la meilleure façon de décongestionner les rues des villes serait d'enlever les feux de circulation et de laisser jouer la libre concurrence. Que les meilleurs gagnent!
Et pendant ce temps à la Chambre des communes, un député sort son siège (le geste situe le niveau du débat) pour combattre la pauvreté grandissante des Canadiens. Je crois qu'il fait fausse route: il vaudrait mieux laisser ces robustes fauteuils à leur place et virer les parlementaires qui somnolent dessus
À PROPOS DU 50IÈME ANNIVERSAIRE DE LA GÉOGRAPHIE À LAVAL
Au nom du Comité organisateur, le professeur Luc Bureau annonce dans le journal Au fil des événements du 16 avril dernier une semaine de festivités pour "raffermir les liens entre tous les artisans de la géographie". S' agit-il de redorer le blason du Département de géographie dont l'image est plutôt ternie depuis quelles années, en particulier par ce secret de Polichinelle qu'est l'affaire judiciaire qui l'empoisonne et dans la quelle sont impliqués deux professeurs et le directeur de ce département?
Si la géographie lavalloise a des cheveux "légèrement argentés", la situation qui prévaut actuellement a plutôt de quoi donner des cheveux blancs et des maux de tête à tous les "artisans" (étudiants et professeurs) du Département de géographie.
De quelle "maturité", de quelle "sagesse", de quelle "audace" parle donc M. Bureau alors que le feu est déclaré et que l'on s'apprête à réunir le choeur des géographes "anciens et nouveaux "pour leur faire chanter joyeusement: "Tout va très bien madame la Marquise...".
Tel le Titanic, le Département de géographie s'enfonce dans une crise évidente et la seule grande décision collective prise par l'équipage jusqu'à maintenant consiste à faire jouer l'orchestre. Jusqu'à quand? Ne serait-il pas plus approprié et plus lucide de tirer la sonnette d'alarme?