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14 mai 1998 ![]() |
Difficile, au Québec, d'aborder le thème du nationalisme ethnique sans se faire accuser de racisme ou d'intolérance. Louis Balthazar, professeur de science politique, a pourtant tenté de mieux cerner ce concept qui surgit régulièrement au gré des débats et des courants politiques. Lors d'une rencontre organisée récemment par le Cercle de réflexion politique et sociale du Département de science politique, il a notamment comparé les différents nationalismes en vigueur dans le monde.
Il suffit de se rappeler le tollé déclenché par Jacques Parizeau attribuant notamment la défaite référendaire de 1995 "aux votes etniques", ou la levée de boucliers provoquée par les propositions de la Société Saint-Jean-Baptiste liant le droit de vote des immigrants à leur compétence à parler français, pour se rendre compte que ce type de nationalisme soulève l'opprobe d'une bonne partie de la population au Québec. Un nationalisme ethnique, basé sur une appartenance nationale en fonction de la naissance, que Louis Balthazar différencie du nationalisme civique qui inclut les citoyens de toute origine.
Une tradition d'exclusion
Selon le politologue, ces allusions "ethniques" constituent
des vestiges d'une longue histoire de repli sur soi vécue par la
société québécoise, minuscule communauté
francophone perdue dans un continent anglophone. "Il y a seulement
une génération, l'exclusion était systématique
face aux immigrants, car on supposait d'emblée qu'ils adopteraient
l'anglais, précise le conférencier. Avec la Révolution
tranquille, la société québécoise est devenue
beaucoup plus accueillante et ouverte aux autres." Selon lui, même
à ses débuts, le mouvement nationaliste démontrait
sa capacité à accepter en ses rangs des adhérents d'origines
diverses, puisque plusieurs anglophones, engagés aux côtés
des Patriotes, ont payé de leur vie la défaite de la révolte
de1837.
En fait, à en croire Louis Balthazar, un nationalisme ethnique traduit souvent les frustrations de ses adhérents qui ne parviennent pas à affirmer leur identité face à une grande puissance. Il cite ainsi les Albanais du Kosovo, persécutés par les Serbes, ou encore les Québécois, déçus de voir leur culture réduite au simple rang de particularisme ethnique, avec l'adoption du multiculturalisme par le Canada. La culture francophone devenait alors une composante, parmi d'autres, d'un pays qui a accueilli notamment des Allemands, des Ukrainiens, des Chinois, des Grecs, et les descendants d'un des deux peuples fondateurs se voyaient refuser le droit de se doter d'une société civique.
Pas si simple
Même si les fanatiques semblent très souvent prompts à
se référer aux appartenances ethniques des uns et des autres,
Louis Balthazar a mis en garde les participants à la conférence
contre une simplification abusive. Les "méchants" n'adhèrent
pas tous au nationalisme ethnique, ils peuvent également se réclamer
d'un nationalisme civique. Il a cité ainsi la propension napoléonienne
au XIXe siècle à envahir l'Europe au nom de la mission civilisatrice
française, des invasions qui ont réveillé un vieux
fonds d'appartenance allemande dans les nations limitrophes. De la même
façon, de grandes puissances comme les États-Unis, qui prétendent
absorber toutes les cultures au sein d'un vaste melting pot, peuvent
parfois susciter l'antagonisme de petits pays, irrités de se sentir
écrasés par un tel rouleau compresseur.
La frontière entre nationalisme ethnique et nationalisme civique semble donc relativement perméable, tant l'histoire et la situation particulière d'un pays influent parfois sur le type d'appartenance nationale pratiqué. Louis Balthazar souligne ainsi que le Québec s'oriente de plus en plus vers une intégration de citoyens issus de diverses cultures. Selon lui, des périodes particulières, comme un référendum, peuvent toutefois ranimer quelques tendances à l'exclusion. D'autant plus, selon lui, que les adversaires politiques des nationalistes, comme les libéraux fédéraux, auraient pafois tendance à entretenir le sentiment de rejet qu'éprouvent certains citoyens, "avec des histoires plus ou moins vraies".