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14 mai 1998 ![]() |
Il faudra recréer une culture de l'allaitement maternel au Québec pour espérer atteindre les nouveaux objectifs nationaux en matière de nutrition des nouveau-nés.
Une étude réalisée par Jocelyne Moisan, de la Faculté de pharmacie, et Marie-Claire Lepage, de la Direction de la santé publique de Québec, révèle que le Québec tire lamentablement de la patte en matière d'allaitement maternel. Leur enquête, dont les principaux résultats ont été présentés le 11 mai lors d 'un colloque tenu dans le cadre du congrès de l'Acfas, révèle que 66 % des mères québécoises allaitent leur enfant à la naissance mais que ces bonnes intentions ne durent que le temps d'une saison; à trois mois, ce taux n'est plus que de 31 % et à six mois, 18 %. Environ 60 % des mères n'atteignent pas les objectifs qu'elles s'étaient fixés quant à la durée pendant laquelle elles souhaitaient allaiter leur enfant.
"On est loin des objectifs nationaux de 80 % à la naissance, 60 % à trois mois et 30 % à six mois", signale Micheline Beaudry, professeure au Département des sciences des aliments et de nutrition. Pourtant, ces objectifs sont moins exigeants que ce que plusieurs organismes internationaux recommandent: l'allaitement maternel exclusif pendant les six premiers mois de vie de l'enfant.
Le modèle nordique
Des pays comme la Suède et la Norvège, auxquels le Québec
aime bien se comparer, affichent des taux qui dépassent 95 % à
la naissance et plus de 60 % à six mois. "Dans ces pays, l'allaitement
maternel est la suite logique et naturelle d'une relation sexuelle qui a
conduit à une grossesse et à un accouchement", dit Suzanne
Dionne, responsable du groupe de travail mis sur pied par le ministère
de la Santé et des Services sociaux afin d'orienter les actions à
entreprendre pour atteindre les objectifs nationaux. "Notre groupe
de travail a été créé parce que le Québec
a eu carrément honte de la situation, dit-elle. Nous venons à
l'avant-dernier rang des provinces canadiennes. Ailleurs au Canada, 74 %
des mères allaitent leur enfant à la naissance. Dans certaines
provinces de l'Ouest, ce chiffre dépasse même les 80 %."
"En quelques décennies, l'allaitement maternel, qui était la norme pendant des millions d'années, a presque été éliminé de notre culture, déplore Micheline Beaudry. Aujourd'hui, on accepte qu'une mère allaite son enfant à la naissance mais ça ne doit pas se prolonger trop longtemps et surtout pas en public. Je rêve d'une société où la surprise serait qu'une mère sorte un biberon en public pour nourrir son enfant." Pourtant, poursuit-elle, les avantages du lait maternel sur le plan de sa valeur nutritive et de la protection contre les infections sont bien documentés. Des études récentes suggèrent également que l'allaitement maternel aurait une incidence à long terme sur le développement intellectuel et sur les résultats scolaires des enfants.
"Malgré ces avantages, comment se fait-il que nous nous retrouvons continuellement dans une situation où il faut justifier l'allaitement maternel?, s'interroge la professeure. Nous avons perdu la culture de l'allaitement maternel et, si le Québec veut atteindre les objectifs nationaux, il faut trouver rapidement un moyen de la recréer. Certains disent que l'allaitement est une question de choix personnel et de libre choix. Mais comment une femme peut-elle allaiter librement si l'ensemble des valeurs, des pratiques et des croyances de la société ne sont pas favorables à son choix?"