30 avril 1998 |
Des chercheurs autopsient les délais d'intervention lors d'un infarctus. Le combat contre la tyrannie de l'horloge n'est pas encore gagné.
Lorsque le tic-tac inexorable de l'horloge impose sa loi au battement chancelant d'un coeur en crise, chaque seconde prend des airs d'éternité. Malgré l'urgence d'agir, le délai actuel entre l'arrivée à l'hôpital d'une victime d'infarctus et l'instant où un médecin lui injecte le médicament qui ira dissoudre le caillot obstruant le passage du sang dans ses artères coronariennes, est encore le double de l'objectif fixé par les autorités canadiennes et américaines de cardiologie.
Voilà la conclusion qui s'impose au terme d'une étude menée par le chercheur et cardiologue Peter Bogaty, du Département de médecine, et par ses collègues montréalais James Brophy, Jean Diodati et Pierre Théroux. Les quatre chercheurs ont passé en revue le cas de 1 357 patients qui ont subi une thrombolyse (intervention visant à dissoudre un caillot) pour cause d'infarctus. Les chercheurs ont disséqué un à un ces cas, survenus dans quarante hôpitaux du Québec entre janvier 1995 et mai 1996, afin d'évaluer le temps d'intervention et de voir à quelle étape il était possible de réduire les délais.
"Lors d'un infarctus, le temps est critique, dit Peter Bogaty. Le caillot qui bloque une artère cause la mort progressive du muscle cardiaque. Plus le délai d'intervention est long, plus les dommages sont importants. Après 6 à 12 heures, tout le muscle est mort."
Le plus important délai, rapportent quatre chercheurs dans un récent numéro du Canadian Medical Association Journal, survient entre le moment où se manifestent les premiers symptômes et l'arrivée à l'hôpital: 98 minutes. Malgré toute l'information diffusée sur les symptômes de l'infarctus, les gens hésitent encore avant de se rendre à l'hôpital. "Certains pensent qu'il ne s'agit que d'une indigestion, d'autres ne veulent pas déranger les médecins et d'autres encore ont peur du diagnostic. Ils espèrent que les symptômes vont disparaître avec le temps." Les principaux symptômes de l'infarctus sont des douleurs au centre de la poitrine qui irradie parfois dans les bras, une pression derrière le sternum, des maux de coeur, des vomissements et de la transpiration. "L'infarctus peut également être silencieux (aucun symptôme), ce qui complique parfois le diagnostic", souligne le cardiologue.
Les femmes, les personnes âgées de plus de 65 ans et les diabétiques mettent plus de temps avant de se rendre à l'hôpital. "Dans le cas des femmes, c'est un résultat intrigant que peu d'études ont rapporté jusqu'à présent. On n'en connaît pas la raison et je n'ai aucune spéculation intelligente à faire là-dessus, dit Peter Bogaty. Quant aux diabétiques, il semble que la maladie diminuerait leur sensibilité de sorte qu'ils ressentiraient moins les douleurs associées à l'infarctus."
Une fois rendus à l'hôpital, les patients doivent attendent près de 59 minutes avant la thrombolyse. Lorsqu'un cardiologue intervient dans la décision, le délai augmente. "Ceci s'explique peut-être par le fait que les cardiologues sont consultés lorsque les cas sont plus complexes", suggère Peter Bogaty.
La performance des hôpitaux du Québec se compare à celle des hôpitaux des autres provinces canadiennes et des États-Unis. La vitesse de réaction en milieu hospitalier dépend d'un ensemble de facteurs: la complexité du cas, la disponibilité de l'équipement et du médecin, ses compétences pour lire un électrocardiogramme, etc. Les instances américaines et canadiennes de cardiologie estiment que, dans des conditions idéales, chaque victime d'infarctus devrait recevoir une thrombolyse dans les 20 à 30 minutes suivant son arrivée à l'hôpital. Malgré certaines améliorations, les délais actuels atteignent encore le double de cet objectif.
"Il est souhaitable et réaliste d'atteindre cet objectif, estime Peter Bogaty. Malgré les coupures dans le domaine de la santé, il n'y a pas de compromis à faire là-dessus. Chaque hôpital doit mettre en place et revoir périodiquement un fast track pour un infarctus suspect. Idéalement, le médecin de première ligne doit être en mesure de répondre rapidement et efficacement à pareils cas plutôt que de référer le patient à un cardiologue. Plus il y a d'intervenants, plus ça prend de temps."