30 avril 1998 |
La francisation des immigrants et leur insertion dans la communauté québécoise passent par la (re)connaissance mutuelle.
La formation continue des enseignants oeuvrant auprès des immigrants nouvellement arrivés au Québec représente une condition essentielle de réussite en matière de francisation et d'insertion sociale et économique. Qui plus est, cette formation continue ne devrait pas porter exclusivement sur les contenus de programmes mais plutôt accorder une large place à la connaissance des immigrants, à leurs expériences migratoires et à leurs implications sur l'apprentissage du français.
Telle est l'une des observations qu'a fait Lucille Guilbert, professeure au Département d'histoire (Faculté des lettres), dans le mémoire qu'elle a soumis au ministre des Relations avec les citoyens et de l'Immigration, André Boisclair, dans le cadre de consultations publiques récentes portant sur la révision de l'offre de service en francisation des nouveaux arrivants et des non-francophones au Québec. "Les difficultés que vivent les réfugiés se répercutent chez les intervenants professionnels québécois qui travaillent auprès d'eux, souligne Lucille Guilbert. Il va sans dire que les enseignants et enseignantes des COFI qui côtoient quotidiennement cette population sont le plus exposés à un épuisement émotif et psychologique."
"La médiation créatrice"
Selon Lucille Guilbert, plusieurs facteurs contribuent à cet épuisement,
dont le sentiment de menace de l'identité professionnelle par la
remise en question constante des méthodes d'enseignement et des programmes,
la menace de l'identité nationale quant à la motivation pour
l'apprentissage de la langue française et le sentiment de fragilité
de l'identité québécoise et finalement, la menace de
l'identité de genre, lorsque par exemple l'enseignante voit son autorité
contestée parce qu'elle est une femme.
Par ailleurs, les intervenants provenant des différents organismes se connaissent peu entre eux et ont souvent l'impression de travailler davantage en compétition qu'en partenariat. Pour contrer le sentiment d'impuissance et d'isolement découlant de cette situation, Lucille Guilbert suggère la mise en place d'un réseau de "médiation créatrice" qui permettrait de renforcer les liens de concertation et de collaboration entre les gestionnaires, les intervenants et les immigrants de diverses origines.
Soulignant que les conditions d'apprentissage du français sont indissociables de l'expérience migratoire de l'individu - qu'il soit "migrant forcé", "migrant volontaire" ou encore un réfugié ayant subi les atrocités de la guerre - Lucille Guilbert recommande, entre autres moyens, d'établir un profil migratoire de l'individu dès son inscription au COFI, de lui offrir une aide psychologique par le biais d'un programme personnalisé et de créer un environnement social rassurant, par la formation de groupes d'adaptation mutuelle entre immigrants et Québécois.
Indépendance et reconnaissance
Chargée de cours à la Faculté des sciences de l'éducation
et responsable du cours "Éducation en milieu interculturel",
Alice Couture soulève la question de la difficulté de véhiculer
auprès de la population immigrée un message clair et sans
équivoque de l'importance de l'apprentissage et de l'usage du français
au Québec, "quand on sait que les nouveaux arrivants sont reçus
d'abord en sol canadien". "Le Québec est assis entre deux
chaises et l'immigrant le sait très bien", écrit-elle
dans son mémoire. En outre, comment inciter les non-francophones
à adopter le français comme langue d'usage, "quand l'ensemble
du Québec n'a pas encore pris sa décision, chose que l'immigrant
sait encore très bien?" Selon Alice Couture, la solution passe
par un Québec autonome et indépendant, fort de ses convictions.
"Tout le reste s'ensuivra, incluant l'intégration des immigrants
tant sur le plan linguistique que sur ceux des insertions sociale, culturelle,
politique et économiques tant désirées. "