30 avril 1998 |
Entrevue
Louise Filion, vice-rectrice à la recherche à l'Université Laval, occupera la présidence de l'Acfas en 1998-1999. Professeure au Département de géographie depuis 1978, elle est spécialiste de la géographie physique, de la biogéographie, des environnements nordiques et subalpins, des perturbations naturelles et du dynamisme des milieux écologiques. Chercheure active au sein du Centre d'études nordiques, dont elle a été directrice de 1987 à 1992, elle a supervisé les travaux d'une vingtaine d'étudiants-chercheurs. Elle est auteure ou co-auteure d'une cinquantaine de publications scientifiques. Le Fil a rencontré la nouvelle présidente afin de connaître sa vision de l'Acfas ainsi que ses priorités et objectifs pour l'année qui vient.
L'Acfas a 75 ans cette année. Croyez-vous que, à l'aube de l'an 2000, les raisons qui ont motivé sa création sont toujours actuelles?
"Les objectifs de l'Acfas ne peuvent pas être identiques à ceux qui ont amené sa mise sur pied il y a 75 ans parce que l'Acfas a évolué avec son temps. Au moment de sa création, en 1923, l'Acfas a dû structurer une communauté scientifique. Le premier congrès n'a d'ailleurs eu lieu que dix ans plus tard, en 1933. Aujourd'hui, certains aspects de sa mission originale demeurent mais d'autres se sont ajouté. Par exemple, l'Acfas a toujours été très près du milieu universitaire mais, au cours des dernières années, elle a aussi établi des partenariats avec les entreprises et les organismes gouvernementaux qui font de la recherche. Par ailleurs, nos préoccupations pour la relève scientifique nous rapprochent aussi d'organismes qui oeuvrent auprès des jeunes. La mission première de l'Acfas est cependant demeurée la même: la promotion de la science et de la technologie et la diffusion d'information qui se rapporte à la science."
L'Acfas est surtout connue pour son congrès annuel et son magazine Interface. On sait aussi qu'elle décerne des prix et des bourses et qu'elle organise un concours de vulgarisation pour inciter les chercheurs à communiquer le fruit de leur travail au public. Envisagez-vous d'autres domaines dans lesquels l'Acfas pourrait intervenir?
"Le congrès demeurera toujours l'activité principale de l'Acfas parce qu'il nous permet, en bonne partie, de remplir notre mission. Avec ses 4 000 à 5 000 participants, c'est le plus grand congrès scientifique annuel dans le monde francophone. Par ailleurs, au cours des dernières années, on a vu l'Acfas réagir aux budgets provinciaux et fédéraux et elle a aussi présenté des mémoires à différentes occasions, entre autres lors des États généraux sur l'éducation. Je pense qu'il faudrait sans doute faire davantage pour rendre publiques nos prises de position sur tout ce qui touche les politiques scientifiques et les politiques de financement de la recherche. L'Acfas ne doit pas uniquement réagir, elle doit aussi être proactive."
Depuis plusieurs années, l'anglais est devenu l'espéranto du monde scientifique. Il est probable que les membres de l'Acfas eux-mêmes utilisent très souvent l'anglais pour communiquer leurs résultats dans des revues savantes ou lors de congrès. Comment un chercheur peut-il réconcilier son identité francophone avec la nécessité de communiquer en anglais pour être reconnu à travers le monde? L'Acfas peut-elle jouer un rôle dans cette réconciliation?
"Il y a une tendance lourde en science qui fait que les chercheurs publient majoritairement en anglais. Les scientifiques vivent et comprennent cet état de fait. L'Acfas ne va pas contrer cette tendance-là et elle ne pourrait pas le faire de toute façon. Ceci dit, ça n'empêche pas qu'il peut exister une vie scientifique en français. Par son congrès et par ses autres activités, l'Acfas contribue au dynamisme de cette vie scientifique francophone. Je crois aussi qu'il y a de la place pour les publications d'ouvrages de synthèse en français et j'ai un projet pour l'Acfas qui va dans ce sens. Il y a des professeurs universitaires qui partent à la retraite sans avoir livré leurs connaissances. Ils pourraient écrire des ouvrages, en français, destinés aux étudiants universitaires de premier cycle. Ceux-ci déplorent le fait que les ouvrages de références sont souvent en anglais."
La très grande majorité des 7 000 membres de l'Acfas sont Québécois mais les sections locales de l'Acfas en Acadie, en Alberta, au Manitoba, en Outaouais, à Sudbury et à Toronto ont en quelque sorte consolidé la vocation "canadienne-française" de l'Acfas. Peut-on s'attendre à voir émerger d'autres sections locales au pays?
"Je connais assez peu les activités des sections locales et il serait intéressant de rencontrer les responsables pour faire le point avec eux. Je pense que l'Acfas est loin d'avoir fait le plein du côté des sections locales. Il est d'ailleurs question de créer une nouvelle section en Colombie britannique."
À quel moment a commencé votre engagement dans l'Acfas?
"Mon intérêt envers l'Acfas a commencé au milieu des années 1980. Dès que j'ai eu des étudiants-chercheurs, je les ai encouragés à participer au congrès. C'est un tremplin extraordinaire parce que ça leur permet de présenter, dans leur langue, devant un public autre que leurs confrères d'université. Le congrès leur offre aussi la chance de connaître des étudiants et des chercheurs des autres universités et de discuter avec eux. En 1995, je suis devenue membre du Conseil d'administration de l'Acfas et, en vertu de la charte de l'organisme, j'en ferai partie jusqu'en 1999."
Vos activités de recherche allaient bon train, vous aviez des charges d'enseignement et des charges administratives. Vous aviez probablement plus de travail que de temps pour l'accomplir. Pourquoi alors vous être engagée au sein de l'Acfas?
"Pour moi, il s'agit du prolongement de la vie de chercheur. C'est une forme d'engagement pour la science et pour la recherche. L'Acfas est une organisation qui me permet de véhiculer et de faire avancer mes idées sur la recherche. Je pense que c'est important qu'il y ait des chercheurs actifs qui s'engagent au sein de l'Acfas pour qu'elle demeure au fait de ce que vivent les chercheurs. Aussi, je crois avoir le sens de l'histoire, je crois en nos institutions et l'Acfas en fait partie."
Les mandats à la présidence de l'Acfas sont d'une année seulement. Quelles seront vos priorités pendant l'année qui vient? Quels buts vous faudra-t-il atteindre pour que vous jugiez avoir bien rempli votre mandat à la présidence de l'Acfas?
"En plus des dossiers touchant la relève scientifique, les sections locales et la présence de l'Acfas sur la place publique, le dossier de la défense de la recherche fondamentale me tient à coeur. Je crois qu'on a presque atteint les limites du partenariat dans le financement de la recherche et qu'il va falloir se pencher sérieusement sur la question. La plupart des nouveaux programmes de financement sont de type partenariat. Ces activités éloignent les professeurs de leurs étudiants. En même temps, les professeurs doivent être davantage disponibles pour l'enseignement et pour l'encadrement des étudiants, ce qui nous conduit à un discours contradictoire. J'aimerais aussi que l'Acfas convainque le gouvernement de créer un programme qui permettrait aux professeurs qui partent à la retraite d'écrire des ouvrages de synthèse destinés à l'enseignement universitaire, comme je l'expliquais plus tôt. Enfin, je crois qu'il faut sérieusement examiner la possibilité de présenter le congrès de l'Acfas dans un autre pays francophone. Cet "Acfas international", qui pourrait avoir lieu à tous les quatre ou cinq ans, donnerait une dimension internationale toute nouvelle au congrès. Ça exigerait beaucoup d'efforts logistiques mais l'organisation du congrès est efficace au point qu'on peut maintenant la considérer comme un produit exportable."