30 avril 1998 |
Le récent disque de Chantal Masson-Bourque et Mariko Sato sort des sentiers battus en musique de chambre.
S'il est une joie indicible qui entretient la flamme passionnelle de tout mélomane invétéré, c'est bien celle de "découvrir", dans le foisonnement multiculturel de la production discographique industrielle, quelque petit joyau façonné par la main inspirée d'un artisan dont la notoriété s'est malheureusement confinée dans le cercle restreint de l'entourage immédiat, puis est disparue sous les couches de poussière de l'horloge des ans.
Il faut savoir remercier ici Chantal Masson-Bourque, professeure à la Faculté de musique de l'Université Laval, et Mariko Sato, ex-chargée de cours à la Faculté, de procurer aux discophiles dignes de ce nom et aux amateurs d'excursion aventureuses hors des sentiers "rabattus" ce légitime plaisir d'explorer une fois de plus la face cachée d'un répertoire classique à la devanture qui laisse peu de visibilité aux compositeurs relégués dans l'ombre des grands pontes.
L'affiche que nous ont proposée récemment Masson-Bourque et Sato n'a pas de quoi attirer l'affluence populaire dès le premier regard. Qui connaît en effet Rebecca Clarke (1886-1979), Jeanne Landry (1922- ), Denis Gougeon (1951- ) ou Anton Rubinstein (1829-1894)? On se méfie toujours de l'Inconnu. On aurait tort cette fois-ci, car les deux complices, la première à l'alto, la seconde au piano, déballent amoureusement et pour notre plus grand bonheur un bouquet printanier de fraîche heure (additionnée de 600 tics-tacs) aux fragrances sonores parfumant souverainement le conduit auditif de l'expérience humaine transposée sur leurs partitions, sortes d'opus vivendi.
À écouter d'abord, en regardant pousser les fleurs par la fenêtre de la musique de chambre, la Sonate pour alto et piano (1919) de Rebecca Clarke, impétueuse, d'une gaité dansante, d'une espièglerie libertaire, mais baignant aussi dans ses langueurs rhapsodiques. Bucolique, l'audition se laisse ensuite bercer par la tendresse mélodique des deux premiers vers musicaux des Trois poèmes pour alto et piano (1990) de Jeanne Landry, l'une des pédagogues "monuments" de l'ancienne École de musique de l'Université.
Sur un mode solaire, l'Alto Neptune (1990) de Denis Gougeon se replie, de son côté, dans le doux écoulement de son intimité contemplative d'où s'exhalent par moments des effluves d'atonalité. De cris en thèmes en chrysanthèmes dans la plaine russe, la Sonate en fa mineur, op.49 (1855) d'Anton Rubinstein vibre, quant à elle, par toute la gamme des émulsions, dévorée qu'elle est de passions brûlantes, de moments sombres, de regards mélancoliques, d'ébats festifs, de "papillonnages" momentanés à bout de course.
Quelle limpide prise de son, par ailleurs, qui rend tout son relief, qui donne tout son lustre au timbre si particulièrement poétique de l'alto, ce "violon grave" injustement négligé par les tenants du catalogue classique! Chaleur, effervescence, sensibilité: le présent enregistrement, pourrions-nous témoigner sans ambages d'autre part, braque des feux révélateurs sur les qualités intrinsèques de ces deux généreuses interprètes.
Emballant, vivifiant, le disque compact que Chantal Masson-Bourque et Mariko Sato consacrent à Rebecca Clarke, Jeanne Landry, Denis Gougeon et Anton Rubinstein représente assurément l'une des belles productions québécoises des récentes années dans le domaine de la musique de chambre. Soulignons que ce disque, paru chez la Société nouvelle d'enregistrement (SNE-627-CD), a été réalisé grâce à l'appui du programme "Soutien à la création" de l'Université Laval.