23 avril 1998 |
Des chercheurs du Département de chimie synthétisent en laboratoire une molécule naturelle qui pourrait stopper la multiplication de certaines cellules cancéreuses.
Les chercheurs John Boukouvalas, Yun-Xing Cheng et Joël Robichaud, du Département de chimie, ont réussi à synthétiser en laboratoire une molécule, provenant d'une éponge, capable de stopper la division des cellules. La synthèse totale de cette molécule unique et rare pave donc la voie à des études d'envergure sur la molécule en question, la dysidiolide. Cette molécule est le seul inhibiteur connu d'une enzyme essentielle à la division cellulaire (protéine phosphatase cdc25a). Les propriétés uniques de cette molécule pourraient éventuellement être mises à profit pour stopper la prolifération de cellules cancéreuses.
Il y a deux ans, des chercheurs américains de Cornell University et de Harbour Branch Oceanographic Institution avaient isolé et élucidé la structure de la dysidiolide. La molécule se retrouve à l'état naturel, en toute petite quantité, dans une espèce d'éponge de mer, Dysidea etheria, qui vit à une profondeur d'une trentaine de mètres dans les eaux des Caraïbes. "On ne connaît pas la fonction de la dysidiolide chez cette éponge mais ça n'a probablement rien à voir avec le cancer, dit John Boukouvalas. Il s'agit probablement d'un métabolite qui joue un rôle dans la défense contre les prédateurs."
La molécule ne représente que 0,05 % de la masse humide de l'éponge. Les quantités qu'il est possible de prélever en milieu naturel, sans parler des coûts, s'avèrent insuffisantes pour la réalisation d'études importantes sur les propriétés biologiques de ce produit. D'où l'importance d'arriver à la synthétiser en laboratoire.
Course Laval-Harvard
À la suite de la découverte de cette molécule aux propriétés
uniques en 1996, plusieurs groupes de chimistes se sont lancés dans
la course pour parvenir à la fabriquer en laboratoire. En décembre
1997, une équipe de Harvard University, dirigée par le Nobel
de chimie, Elias .J. Corey, publiait une première solution dans le
Journal of American Chemistry Society. En janvier, l'équipe
de l'Université Laval proposait à son tour sa solution dans
les pages du Journal of Organic Chemistry . En février, un
groupe de Columbia University y allait d'une troisième voie de synthèse.
"La solution de Columbia donne la molécule et son image miroir,
dit John Boukouvalas. Le composé n'est pas pur, ce qui rend leur
approche moins intéressante. Par ailleurs, la solution de Harvard
comprend 28 étapes alors que la nôtre n'en exige que 15".
Sans le savoir, les équipes de Laval et de Harvard étaient donc engagées depuis plusieurs mois dans une course à la synthèse de la dysidiolide. "L'échange de correspondance avec notre éditeur a été ralenti par la grève des postes au Canada mais je ne suis pas fâché pour autant. C'est toujours bien d'être le premier, ça a une valeur sentimentale. Mais je préfère encore arriver deuxième avec la meilleure méthode", dit John Boukouvalas.