![]() |
16 avril 1998 ![]() |
Colloque du GÉTIC
À Wemindji et à Manawan, des communautés autochtones pourront gérer leur devenir par le désenclavement et la scolarisation.
Taux record d'alcoolisme, nombre dramatique de suicides chez les jeunes, abus sexuels fréquents: la lecture des données sociales en provenance des réserves autochtones n'incitent pas souvent à se réjouir. Pourtant, des recherches présentées durant le colloque annuel Nord-Laval organisé début avril par le Groupe d'études inuit et circumpolaires (GÉTIC) montrent que la construction de routes reliant les villages autochtones permet à ces derniers de trouver de nouveaux débouchés économiques, et que le succès des nécessaires réseaux d'entraide repose en grande partie sur les revenus et la scolarisation. Coup d'oeil sur le village de Wemindji, sur les rives de la Baie James, et celui de Manawan, non loin de La Tuque.
De nouveaux liens de communication
Si la construction de barrages hydro-électriques à la
Baie-James a provoqué une levée de boucliers sans précédent
des groupes écologistes et des autochtones, elle aura au moins eu
le mérite de pousser Hydro-Québec à bâtir des
routes permettant de désenclaver plusieurs villages très isolés
de la région. Actuellement, seulement deux villages cris ne sont
pas reliés au réseau routier de ce secteur, selon Dominique
Égré et Pierre Grégoire, qui travaillent tous deux
au service de gestion de l'environnement d'Hydro-Québec. À
la suite de la construction d'une route reliant Wemindji, au sud de Chichassibi,
à Radisson et Matagami, les chercheurs ont voulu évaluer l'impact
de ce nouveau lien de communication sur la vie des villageois.
À travers une série de quatre enquêtes, ils ont découvert que l'instauration d'une route permanente à partir de 1994 avait eu d'importantes conséquences économiques pour cette localité d'un millier d'habitants. En effet, le volume de fret a considérablement augmenté, puisque Wemindji sert désormais de point de transbordement pour les marchandises qui arrivent par voie maritime avant de repartir en camions. De la même façon, des maisons préfabriquées arrivent désormais facilement au village par remorques, ce qui a donné un véritable coup de fouet au secteur de la construction.
Des trappeurs plus mobiles
L'ouverture de la route facilite également grandement les déplacement
des trappeurs, tributaires jusque-là du transport aérien pour
rejoindre leurs territoires de chasse. Désormais, ils peuvent rejoindre
leur lieu de piégeage, ou rentrer au village à leur guise,
sans devoir passer plusieurs mois éloignés de leur famille.
Conséquence inattendue, le nombre de trappeurs et de chasseurs semble
d'ailleurs avoir augmenté, ainsi que le nombre de villageois pratiquant
ce genre d'activité à titre de loisir.
Selon les chercheurs d'Hydro-Québec, le désenclavement de Wemindji désarmorce d'autre part certaines tensions sociales. "Les jeunes se sentent plus libres car ils ont la possibilité de se rendre à l'extérieur, précise Pierre Grégoire. Il faut se rappeler que la sédentarisation des Cris demeure assez récente, et qu'ils peuvent éprouver des difficultés à vivre au milieu d'une grande communauté tout au long de l'année. Autrefois les familles se rassemblaient en petits groupes à certaines périodes seulement."
Des réserves étouffantes
Les Atikamekw qui demeurent dans la réserve de Manawan semblent s'accomoder
difficilement d'une promiscuité forcée avec de nombreuses
familles. Une étude sur l'existence de réseaux de sociabilité
à l'intérieur de cette réserve, menée par des
étudiants en sociologie de l'Université Laval à la
demande du Conseil de bande de la communauté, et présentée
lors du colloque par Bernard Lamothe, révèle ainsi que de
nombreuses femmes se plaignent d'un manque d'intimité, et jugent
étouffante la vie sur la réserve. Paradoxalement, elles avouent
également manquer d'amis, tout en recevant beaucoup de confidences.
Les rencontres menées par l'équipe de recherche auprès de plus de 300 villageois ont permis de mettre en lumière l'existence de réseaux de sociabilité permettant à une certaine couche de la population de s'entraider. Selon les données recueillies, les habitants les plus instruits de Manawan, et disposant d'un revenu confortable, portent un vif intérêt à la vie communautaire, tandis que les chômeurs ou les inactifs se sentent plus exclus. En fait, les plus riches ont plus tendance à donner un coup de main à leurs amis ou à leur famille proche, qu'à aider un citoyen du village vraiment démuni. L'éducation et le revenu semblent donc constituer des outils priviélégiés pour s'intégrer socialement, car la solidarité reste trop circonscrite à un petit groupe de personnes pour faire la différence.