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2 avril 1998 ![]() |
Pierre Falardeau croit que les cinéastes québécois doivent se brancher sur Matane plutôt que sur New-York.
Un débat auquel participe le cinéaste Pierre Faladeau offre à priori peu de surprises. D'avance, le public sait que le bouillant polémiste va sacrer à tour de bras, s'en prendre à l'impérialisme américain et dénoncer le colonialisme subi par les Québécois "jusqu'au fond des shorts depuis des générations". Mais au-delà du personnage de cartoon dans lequel certains voudraient bien le confiner, cet ardent indépendantiste a dévoilé une autre facette de sa personnalité, lors d'un débat ("Réflexion sur l'art et la société: au commencement, le cinéma") organisé au pavillon Desjardins le 25 mars par l'Association des étudiants et des étudiantes de Laval inscrits aux études supérieures (ÆLIÉS). Invité à réfléchir à voix haute, en compagnie de Véronique Nguyên-Duy, professeure au Département d'information et de communication, le réalisateur a su évoquer avec intelligence et émotion les maîtres qui l'ont influencé dans son travail, ainsi que l'importance de ce mode d'expression pour la culture québécoise.
Pour lancer la discussion, Véronique Nguyên-Duy a tout d'abord évoqué l'histoire du cinéma québécois, depuis ses premiers balbutiements en 1922 alors que les abbés Tessier et Proulx filment les gestes quotidiens d'une société rurale en pleine transformation, jusqu'à l'explosion des années 1970 et la transformation de la télévision en locomotive du cinéma vers 1990. Cette chercheuse, spécialisée en médias de masse, a ainsi tracé un parallèle entre le besoin de produire des films et des documentaires québécois et celui de se connaître. Selon elle, même des mélodrames décriés par la suite pour leur message moral, comme Aurore, l'enfant martyre ou Le curé du village, laissent déjà deviner les tensions qui apparaissent dans la société, entre la ville et la campagne, ou la tradition et la modernité.
L'apparition des docu-vérités
"Le cinéma porte en lui les germes des changements sociaux car
il permet de diffuser à un grand nombre de personnes les idées
d'une minorité", affirme Véronique Nguyên-Duy en
rappelant le vent de contestation qui secoue de nombreux cinémas
nationaux dans les années 1960, de Dakar à Rio, en passant
par Budapest ou Montréal. C'est d'ailleurs à cette époque
que de jeunes réalisateurs comme Jacques Godbout ou Denys Arcand
contestent la tutelle de l'Office National du Film, et qu'un Pierre Perreault
se plonge dans le documentaire-vérité avec sa trilogie sur
l'Ile-aux-coudres en se débarassant des couches d'artifices cinématographiques
pour mieux coller à la réalité.
Les images de ce cinéaste ont d'ailleurs fortement bouleversé Pierre Falardeau dans ses vertes années. "Jusqu'aux films de Perreault, je m'imaginais un ouvrier comme quelqu'un de très exotique, en vélo et une baguette de pain sous le bras, explique-t-il. Avec lui, je me suis aperçu qu'il parlait de mon voisin, avec sa boîte à lunch et sa casquette de chasse." La découverte à l'écran d'un univers familier a eu l'effet d'un électrochoc pour ce jeune étudiant que le ron-ron universitaire ennuyait royalement. Des voyages au Mexique, en Martinique, la lecture de livres comme Les damnés de la terre de Franz Fanon, ou Lettres et colères du québécois Pierre Vadeboncoeur l'éclairent sur la nécessité de se retourner vers les traditions de son propre peuple pour échapper au syndrome de l'intellectuel colonisé, "plus branché sur New-York ou Paris que sur ce qui se passe à Matane ou Rouyn-Noranda", dit-il.
"Dès mes premiers documentaires, en 1971, j'ai voulu sortir du "ton" Radio-Canada pour parler au monde des tavernes, indique le cinéaste, dire des choses intelligentes sans utiliser un ton universitaire." Selon lui, un contenu révolutionnaire doit forcément s'accompagner d'une enveloppe différente, un cinéma populaire fortement lié, pour Pierre Falardeau, à la lutte de libération nationale de son peuple. "Je trouve innaceptable que les artistes soient coupés de cette lutte, lance Pierre Falardeau. Du coup, je déteste de nombreux cinéaste ou artistes qui refusent de prendre position."
L'émotion de la politique
Même si ses films contiennent sans contredit des messages politiques
sans équivoque, le réalisateur remarque que la forme de ses
productions a évolué. Il essaye de produire un cinéma
susceptible de toucher le public, de lui procurer des émotions. Ainsi,
Octobre, cette fiction sur la crise qui a abouti à l'assassinat du
ministre Pierre Laporte, ressemblait au départ à une thèse
de science politique. Au fil des dix années de préparation,
c'est plutôt la manière dont les acteurs de ce drame vivent
avec leurs convictions et acceptent de mettre leur vie, et incidemment celle
des autres, dans la balance, qui l'a intéressé.
Interrogé par plusieurs personnes dans la salle sur les stratégies qu'il déploie pour résister au rouleau compresseur de la censure, Pierre Falardeau met en lumière l'importance de la force des individus. Citant l'exemple de Vaclav Havel, ce dramaturge tchèque persécuté par les communistes et devenu ensuite président de la nouvelle république, il signale qu'une opposition opiniâtre déconcerte souvent les détenteurs du pouvoir. "Lorsque j'ai réalisé Le Party, un des investisseurs d'une télévision payante voulait retirer ses 50 000 $ si je n'enlevais pas la scène du viol, explique-t-il. Je l'ai envoyé c.... avec son argent car, tout de même, le film se déroulait en prison et les gens qu'on mettait en scène n'étaient pas des amis de Passe-Partout!"
Son souci de l'intégrité oblige parfois Pierre Falardeau à utiliser des circuits parallèles pour rejoindre le public, car plusieurs de ses productions, comme Le temps des bouffons, sont refusées par les distributeurs traditionnels. Mais ces difficultés pratiques ont plutôt l'air d'amuser cet iconoclaste notoire car, selon lui, elles font ressortir les contradictions du système. À l'entendre, le fait que les différents organismes d'aide au cinéma ne veulent pas investir dans le film qu'il prépare sur les Patriotes démontre que la liberté de création dont parle Ottawa n'est qu'un leurre et que la censure demeure une réalité quotidienne.