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2 avril 1998 ![]() |
Le neurologue Jean-Pierre Bouchard touche au but qu'il s'était fixé il y a dix ans.
Une équipe internationale de recherche vient d'annoncer, dans la revue scientifique Nature Genetics, qu'elle a réussi à isoler le gène responsable de la dystrophie musculaire oculopharyngée (DMOP)."C'est l'aboutissement de dix années de travail sur le sujet, dit Jean-Pierre Bouchard, professeur à la Faculté de médecine et membre de l'équipe de 18 chercheurs du Québec, du Canada, du Japon, d'Israël, de France et des Pays-Bas qui a effectué la découverte.
La DMOP est une maladie héréditaire qui provoque un affaiblissement progressif des muscles. Elle se manifeste, en général, autour de la cinquantaine par une chute progressive des paupières et par des difficultés à avaler. Ces problèmes peuvent être corrigés par chirurgie mais l'effet est temporaire. En plus d'un affaiblissement des muscles du visage et de la gorge, le tiers des malades éprouvent des problèmes aux muscles des membres ce qui peut éventuellement les confiner à un fauteuil roulant. L'espérance de vie des personnes souffrant de DMOP est la même que celle des individus normaux mais leur qualité de vie est grandement affectée.
La maladie est répandue partout dans le monde. Au Québec, la prévalence du gène défectueux est élevée: une personne sur 1 000 serait porteuse du gène de la DMOP (1 sur 200 000 en France). Ce gène aurait été introduit au Québec par trois femmes d'une même famille venues de France au XVIIe siècle. Elles auraient élu domicile dans la région de L'Islet, ce qui explique la prévalence particulièrement élevée la DMOP dans cette région.
En 1992, les chercheurs ignoraient encore totalement où pouvait se cacher le gène défectueux causant la DMOP. Trois ans plus tard, le professeur Bouchard et ses collègues de l'Université McGill annonçaient qu'ils avaient localisé le gène dans une région spécifique du chromosome 14. Même si cette région représente moins de 0,1% du génome humain, il aura tout de même fallu presque trois ans pour le coincer. "Après avoir localisé le gène, nous avons organisé un symposium sur le sujet. Le tambour international s'est mis à battre et des collaborateurs d'autres pays se sont joints à nous. L'identification du gène a été réalisée à l'aide de 144 familles de 15 pays."
La particularité de cette mutation, poursuit le professeur Bouchard, est qu'il suffit que la séquence GCG soit répétée une fois de trop pour qu'une personne soit porteuse récessive (sans symptômes) et deux fois pour que la maladie se manifeste (d'autres types de mutations comportent des dizaines de répétitions qui ne causent aucun problème). En plus, la mutation n'est pas située sur un gène qui code pour une protéine.
"Maintenant qu'on connaît le gène, on comprend mieux comment la maladie se manifeste dans l'organisme et ça nous rapproche d'un traitement pharmacologique ou génique, estime le neurologue. Par contre, on ignore encore bien des choses, entre autres pourquoi la maladie s'attaque d'abord aux muscles de la paupière plutôt qu'aux autres muscles du corps."