12 mars 1998 |
Aborder le marché chinois, c'est débarquer
sur une autre planète:
la Terre du XXI e siècle.
Depuis que la Chine s'est mise en route vers le développement d'une économie de marché, le reste de la planète a choisi de saliver, plutôt que de trembler, devant ce géant qui s'ébroue. Le miracle économique en gestation fait déjà des gagnants chez les investisseurs étrangers mais plante aussi de coûteux mirages pour les entreprises mal préparées à aborder ce marché hypercomplexe.
C'est le message que plus de 200 décideurs d'affaires de la région de Québec ont reçu d'une douzaine d'experts, le 4 mars, au Château Frontenac, lors du colloque annuel "Faire affaires à l'étranger" organisé par la Faculté des sciences de l'administration (Nicole Lacasse, Zhan Su et Christian Dutil) avec l'appui de la Société pour l'expansion des exportations, du gouvernement du Québec et de plusieurs partenaires régionaux.
Le chantier du monde
Une image choc: 70 % des grues de la planète se trouvent actuellement
en Chine. Ce pays est devenu le premier récepteur d'investissements
directs étrangers parmi les pays en voie de développement.
Depuis 1978, moment de l'ouverture économique de la Chine, plus de
35 000 entreprises étrangères s'y sont implantées,
dont près de 500 entreprises canadiennes. En 1996, la Chine comptait
plus de 280 000 projets d'investissements étrangers signés
et les opérations réalisées avaient dépassé
les 160 milliards US.
Le bilan comporte des "success stories", mais aussi des échecs retentissants. Car le marché chinois, hétérogène et instable, s'avère extrêmement difficile à pénétrer, en raison notamment de formidables barrières bureaucratiques et culturelles. Avec un État dirigiste de type stalinien, des lacunes sérieuses en matière de formation de la main-d'oeuvre et de législation d'affaires, un secteur bancaire en voie de transformation laborieuse, la Chine peut devenir le cauchemar - non climatisé - de l'homme d'affaires étranger. "Tout ce qui touche à la sous traitance donne une vision réelle de l'enfer. Faire des affaires en Chine, c'est sexy mais c'est hautement risqué. Il faut compter sur de fortes réserves monétaires", signale l'entrepreneur Pierre Pomerleau, engagé dans un vaste projet de construction à Shangai avec la firme française Bouygues S.A.
Un sport de contacts
"Près de 90 % des échecs lors de missions, négociations
ou contrats internationaux sont causés par des carences au niveau
des préparatifs et de la formation ou d'une sous-évaluation
des impacts causés par les différences culturelles",
fait valoir Robert Ward, de la firme de consultants Viabilis Affaires internationales
qui oeuvre auprès des PME canadiennes. Et il énonce quelques
principes de base pour percer sur ce marché: bien comprendre les
très grandes différences culturelles entre Canadiens et Chinois
en ce qui concerne les pratiques d'affaires, notamment le respect des niveux
hiérachiques et le rythme des négociations ("Dans un
pays qui a déjà 3 000 ans d'histoire, le moment immédiat
est plutôt relatif."), se familiariser avec les particularités
régionales de cet immense pays, établir un réseau de
relations "permettant de frapper aux bonnes portes, au bon moment".
"En Chine, pour l'étranger, qu'il représente une entreprise modeste ou une grande multinationale, tout est essentiellement politique", fait valoir Fred Bild, autrefois ambassadeur du Canada à Pékin et professeur invité au Centre d'études sur l'Asie de l'est à l'Université de Montréal. La relation personnelle , le guanxi , comme on dit en chinois, est considérée par beaucoup d'experts comme le fondement de toute stratégie réussie.
"Il n'y a pas de recette unique pour avoir du succès en Chine. Mais il faut savoir que le développement d'une relation d'affaires durable va impliquer de fortes dépenses d'argent et de temps, explique Simone Robin, directrice, Asie Coopération industrielle Partenariat à l'ACDI. C'est un marché complexe et compétitif. Les exportateurs se doivent de plus en plus de devenir des investisseurs. Une vision réaliste et un engagement à long terme sont des éléments essentiels au succès des opérations."
Cibler pour compter
"L'entreprise qui voit la Chine comme un marché important face
auquel elle a une stratégie de développement à moyen
et à long terme traitera sa clientèle chinoise avec respect
et choisira ses collaborateurs chinois pour leurs compétences professionnelles
et non seulement pour leurs contacts haut placés, rappelle Christopher
Tomson, de la Fondation Asie-Pacifique. La relation personnelle, le guanxi
ne peut pas remplacer les éléments de base du marketing."
Selon Fred Bild, les entreprises désireuse de percer en Chine devraient cibler sa classe moyenne en émergence: " Ces 70 millions de Chinois à présent en mesure de se payer des quantités appréciables de produits d'importation connaissent une croissance qui pourrait gonfler leur nombre à 200 millions d'ici 2005. C'est leur comportement, bien plus que les chiffres macro-économiques, qui devrait faire l'objet d'études approfondies de la part de nos industriels et exportateurs. Ce sont également les orientations, les habitudes en pleine transformation et la relation que cette nouvelle couche sociale établit avec ses dirigeants qui devraient étayer l'ensemble de nos études économiques sur la Chine continentale."
Maureen Bridges et André de Broux, de la firme Soprin-ADS, considèrent que le Québec, dont l'expertise en recherche et développement dans le domaine de l'efficacité énergétique est unique au monde, possède des cartes gagnantes en matière de transfert technologique vers ce pays dont le taux de croissance économique se situe aux environs de 8 à 9 % mais dont le taux de croissance d'énergie primaire ne dépasse pas 4 %. Une étude, menée à l'UQAM par Jorge Nioso et Claude Marcotte et visant à connaître les facteurs de succès des transferts de technologie vers la Chine conclut par ailleurs que seules les entreprises grandes et moyennes (500 employés et plus) devraient s'y aventurer. "Les entreprises canadiennes fournissent actuellement environ 1 % seulement des importations de technologie de la Chine. C'est un marché qui exige des ressources et des expertises importante, où les PME ne devraient pas se faire les dents pour leurs premières opérations internationales, surtout si leurs produits sont technologiquement complexes."
Le plan de match
Lequel des encadrements juridiques offerts présentement par le gouvernement
chinois serait le plus favorable aux investisseurs étrangers? Zhan
Su, professeur à la Faculté des sciences de l'administration
et directeur adjoint du Groupe d'études et de recherches sur l'Asie
contemporaine (GÉRAC), penche pour l'entreprise à capitaux
entièrement étrangers (Wholly Foreign Owned Entreprise)
parce que, moins complexe et plus rapide à mettre que en place que
l'entreprise mixte (International Joint-Venture), cette formule
accorderait des avantages majeurs en termes de flexibilité et de
contrôle, tout en évacuant les difficultés maintes fois
éprouvées avec des partenaires locaux. En ce qui concerne
le transfert technologique, notamment celui des technologies de pointe,
le chercheur propose le joint-venture: "La raison en est que
la Chine a besoin non seulement de technologie scientifique matérielle,
mais aussi de technologie managériale moderne, explique Zhan Su.
L'option IJV est le canal idéal pour importer les deux à la
fois."
Le jeu et la chandelle
Le rêve chinois des entrepreneurs et investisseurs étrangers
n'est rien de moins que celui d'un marché potentiel, proprement hallucinant,
de 1,3 milliard de consommateurs. Selon les conférenciers, l'absence
en Chine d'un État de droit, le fossé culturel avec l'Occident
en ce qui concerne les pratiques d'affaires, les risques réels de
chaos politique et de ralentissement de la libéralisation économique
ne devraient ne devraient pas émousser l'intérêt - certain
- des entreprises d'ici à participer à la croissance économique
d'un pays appelé à jouer un rôle de premier plan au
XXIe siècle. En souhaitant, bien sûr, qu'il s'ouvre aux valeurs
démocratiques.
"Dans les écoles et universités chinoises, l'introduction de sujets typiquement occidentaux en administration publique et gestion des affaires contribue à une influence croissante des idées anglo-américaines et du pluralisme", constate Christopher Thomson. "Il ne faut pas oublier, renchérit Fred Bild, que d'autres régimes autoritaires comme ceux de la Corée du Sud et de Taiwan ont entamé leur "démocratisation" bien plus tard que leur décollage économique. Il n'est donc pas exclu qu'une croissance à un rythme soutenu, moins frénétique, permette à la Chine de trouver en douce des avenues de modernisation politiique qui serviront ses besoins de développement à long terme."