![]() |
26 février 1998 ![]() |
Il y a ceux qui meurent au bout d'un an ou deux du sida, terrassés par cette peste des temps modernes qui ne pardonne généralement pas. Mais il y a également les autres, diagnostiqués séropositifs depuis dix ans ou plus, qui continuent de vivre, malgré cet épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête. Ce sont ces survivants, aussi appelés long-term survivors (LTS) que Nancy Côté a choisi d'étudier, dans son mémoire de maîtrise supervisé par Marc-André Lessard, du Département de sociologie. Dans sa recherche, elle a tenté de comprendre comment se construisait et évoluait la réalité de la vie quotidienne de ces véritables miraculés du sida, à qui la vie s'accroche, et ce, sans que la recherche scientifique puisse encore apporter d'explications au phénomène. Pour ce faire, elle a mené des entrevues auprès de neuf hommes fréquentant Miels-Québec, un organisme venant en aide aux personnes atteintes du sida.
"Les réactions face aux différentes phases de la maladie varient selon les individus, constate Nancy Côté. Dans la période précédant l'annonce du diagnostic de séropositivité, certains tardent à passer le test de dépistage, tandis que d'autres le passent aux premiers doutes. Au moment de l'annonce du diagnostic, certains réagissent par la fuite, en se lançant dans la drogue ou l'alcool et certains maintiennent une apparence de statu quo. D'autres cherchent à donner un sens à la maladie dans leur vie quotidienne, par le biais de la philosophie, de la spiritualité ou de la psychanalyse. Lorsque les symptômes mineurs commencent à apparaître, les réactions sont tout aussi variées: certains décident de vivre publiquement la maladie en donnant des témoignages publics, par exemple, tandis d'autres poursuivent leurs activités normales."
Un mal à intégrer
Durant la phase où les symptômes majeurs apparaissent, il y
a d'une part ceux qui choisissent de ne plus se battre contre le VIH parce
qu'ils se sentent fatigués ou qu'ils n'ont plus de qualité
de vie, souligne l'étudiante-chercheure. Ces personnes vont s'isoler,
cesser de faire attention à leur alimentation ou encore arrêter
leur médication. D'autre part, il y a ceux qui persistent à
se battre et qui continuent d'entretenir leur corps et leur esprit en faisant
de l'exercice, en prenant des suppléments de protéines et
en s'impliquant socialement. À mesure que la maladie évolue,
il devient de plus en plus difficile pour la personne d'intégrer
la maladie à la routine de la vie quotidienne puisque justement,
la maladie prend toute la place.
"La réalité des LTS ne ressemble pas totalement à celle des séropositifs qui ont une longévité plus courte, affirme Nancy Côté. Le facteur temps semble être une source importante d'inquiétude. Après neuf ans de séropositivité, cap décisif pour le déclenchement de la maladie, selon un participant, l'anxiété s'accroît. Les individus se questionnent sur les raisons de leur longévité avec le virus; ils ont tous vécu le deuil de plusieurs de leurs amis; ils ont également à jour le rôle d'expert ou d'ancien auprès d'autres personnes séropositives qui les sollicitent pour des conseils. Partagés entre l'écoute et le rôle de conseiller, ils ont peu de place pour parler de leur réalité en tant que LTS. Fait à noter, tous les participants ont déclaré s'être rapprochés de l'univers spirituel, qu'il soit religieux ou philosophique. Enfin, ils ont dit que leur maladie leur faisait apprécier les joies les plus simples de la vie."