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26 février 1998 ![]() |
Des artistes de la plume et du pinceau confrontent leurs oeuvres dans un ultime combat pour la création. À voir à la salle d'exposition du pavillon Alphonse-Desjardins, jusqu'au 6 mars.
Jusqu'au 6 mars, l'Association des étudiants en arts plastiques, en collaboration avec l'Association des études françaises et le CEULa (Cercle d'écriture de l'Université Laval), présente l'exposition Les Muses Gueules. L'événement, qui en est à sa deuxième année, vise à mettre en relation deux domaines distincts de la création: les arts visuels et la littérature. Une vingtaine d'étudiants et d'étudiantes de l'Université Laval ont accepté de se prêter à ce jeu qui, pour les tenants de la plume, consistait à écrire un poème ou encore une nouvelle et de lancer leur oeuvre à la mer, en quelque sorte, tandis qu'un artiste de l'École des arts visuels s'inspirerait du message pour créer un tableau, un dessin, une lithograhie ou encore une sculpture. Le résultat de cette opération où destin et hasard s'entrecroisent, formant des entrelacs parfois audacieux, parfois plus orthodoxes, fait plaisir à voir.
"Le fil conducteur de l'ensemble est basé sur un phénomème par lequel une création en engendre de nouvelles, explique Evelyne Boulva, étudiante en arts plastiques et responsable de cette exposition. D'inspiré, on devient inspirateur. L'exposition constitue en quelque sorte un hymne à l'expression, dont les diverses thématiques touchent de près artistes visuels et auteurs. À quelques exceptions près, personne n'est tombé dans le piège de l'illustration; les étudiants en arts plastiques y sont allés librement, sans coller nécessairement au texte, travaillant de façon intuitive et suivant leur propre inspiration."
Un manque à combler
Pour créer son tryptique dédié à la beauté,
Evelyne Boulva s'est elle-même inspirée d'un texte d'Isabelle
Cyr, intitulé Un jour, je te tuerai, dans lequel une femme parle
de cet instant éternel, de ce jour béni où elle tuera
son amant et où, par sa seule volonté de femme amoureuse,
le temps d'une vie humaine s'arrêtera, figé par la mort. "Je
n'ai pas voulu m'attacher au côté morbide du texte mais plutôt
célébrer et fixer sur la toile la pureté du corps humain,
dans ce qu'il a de plus sublime. À l'instar du texte d'Isabelle Cyr,
j'ai voulu arrêter le temps." Pour sa part, Sofie Richer a créé
un tableau où "combler le vide" tourne véritablement
à l'obsession, à partir d'un texte de Nathalie Quirion ayant
pour titre Une femme qui attend. Réflexions extra-lucides sur l'existence,
les deux oeuvres parlent de cet te insoutenable légèreté
de l'être si lourde à porter, dans un monde où le manque
dévore la chair et l'esprit.
De son côté, Éric Desrosiers a réalisé une peinture assez déroutante, non pas pour le visiteur, dont la curiosité risque pourtant d'être attisée à la vue de ce gnome aux mains jointes d'où pend un crâne humain, mais pour l'auteure du texte correspondant, Mariloue Ste-Marie. "Il me semble que le texte commandait plus un tableau figuratif", estime cette étudiante en littérature, qui affirme avoir eu une bonne discussion avec l'artiste, après avoir vu ce tableau d'où émane une atmosphère un peu surréaliste. Effectivement, le fossé entre Appels (le texte) et L'appel (le tableau) apparaît à première vue assez large. Mais à y regarder de plus près, on constate que les thèmes traités dans les deux oeuvres se rejoignent: perte de soi, destruction, reconstruction, solitude, urgence d'être au monde et de vivre. Ce décalage des plus constructifs fait toute la saveur de l'exposition Les Muses Gueulent qui promet de satisfaire l'appétit de tous ceux et celles souhaitent goûter à quelque chose de différent en matière d'art.