26 février 1998 |
Des économies de bout de chandelle qui hypothèquent la santé des patients en chirurgie cardiaque.
Les ballons intraaortiques employés en chirurgie cardiaque sont conçus pour un usage unique et ils devraient être utilisés ainsi. Voilà la conclusion qui s'impose au terme d'une étude que des chercheurs de la Faculté de médecine ont effectuée afin d'évaluer la faisabilité de récupérer ces instruments médicaux pour réduire les coûts des services de santé.
Si, du point de vue de la résistance, les ballons pourraient être utilisés à de nombreuses reprises, l'apparente impossibilité de les débarrasser des résidus organiques sans modifier leurs propriétés physiques devrait suffire à mettre un holà au projet de réutilisation. "La situation est simple, dit Robert Guidoin, responsable de l'étude. Ces ballons entrent en contact avec le sang pendant plusieurs heures et c'est inévitable que des débris organiques s'y déposent"
Un instrument de 600 $
Les ballons intraaortiques servent à favoriser la reprise du débit
sanguin normal chez des personnes qui viennent de subir une intervention
cardiaque. Relié à un compresseur d'air qui le gonfle et le
dégonfle en fonction du rythme cardiaque du patient, chaque ballon
peut demeurer dans l'aorte pendant des heures, voire des jours. Longs d'une
vingtaine de centimètres, ils sont fabriqués en polyuréthanne,
un polymère extensible très utilisé dans le matériel
médical. Entre 3 % et 5 % des chirurgies cardiaques font appel à
ce type de ballon, ce qui représente 80 000 ballons par année
à travers le monde. "Les prix ont baissé récemment
à cause de la compétition mais chaque ballon coûte encore
entre 500 $ et 600 $", précise Robert Guidoin.
Les chercheurs de la Faculté de médecine ont récupéré 112 ballons qui avaient été utilisés dans des hôpitaux de Québec, de Montréal et de Sherbrooke. Une fois nettoyés à l'eau distillée, ces ballons ont subi des examens à l'oeil nu, au microscope et à la spectroscopie infrarouge avant d'être soumis à des tests de résistance mécanique. À l'oeil nu, rapportent les chercheurs, la forme et la couleur des ballons demeurent intactes et aucune trace d'abrasion ou de fissure n'est visible à la surface. Les propriétés physiques et mécaniques des ballons restent également inchangées après une utilisation unique; entre autres, 97 % des spécimens ont passé avec succès un test d'étanchéité de 72 heures.
L'examen détaillé a cependant révélé que 61 % des ballons présentent des fissures microscopiques. De plus, 65 % des ballons et 38 % des lumières de ballon (l'intérieur) sont contaminés par des résidus organiques. "Le polyuréthanne est un bon matériau, dit Gaétan Laroche, l'un des auteurs de l'étude, mais s'il faut le laver avec toutes sortes de solutions, on risque de le soumettre à un processus de dégradation qui peut altérer ses propriétés. Bref, il semble beaucoup plus simple de changer de ballon."
Bout de chandelle
Présentement ces ballons ne sont pas récupérés
au Québec, précise Robert Guidoin, quoiqu'il en a été
question. Par contre, des ballons semblables fréquemment utilisés
pour dilater de gros vaisseaux sanguins "ont été réutilisés
joyeusement jusqu'à ce que le ministre Rochon renverse cette décision,
poursuit-il. Présentement, on tente de tout sauver en médecine
mais il faut être très prudent dans la question de la récupération
du matériel jetable, prévient le chercheur. Lorsqu'on considère
combien il en coûte pour hospitaliser une personne, le coût
du matériel médical est marginal. Ce sont des économies
de bouts de chandelle qu'on risque de faire payer aux patients."
Les détails de l'étude sur les ballons intaaortiques sont rapportés dans la dernière édition de la revue Artificial Organs. L'équipe qui a réalisé l'étude était formée des chercheurs Mingjing Yang, Xiaoyan Deng, Ze Zhang, Maryse Julien, Fabrice Pelletier, Denis Desaulniers, Gaétan Laroche et Robert Guidoin (Faculté de médecine et Institut des biomatériaux de Québec) et de leurs collègues Robert Cossette (Montréal) et Francisco-Javier Teijeira (Sherbrooke).