19 février 1998 |
Les femmes ont acquis droit de cité à l'université mais elles demeureraient des citoyennes de seconde classe dans les contenus de cours et l'avancement du savoir.
L'université est-elle une institution sexiste? Si on se fie à la définition du mot sexisme - qui consiste en une attitude de discrimination à l'égard du sexe féminin - la question semble ne plus se poser aujourd'hui. En fait, les vraies questions à se poser seraient plutôt: Est-ce que les femmes ont été intégrées dans les disciplines universitaires? Parle-t-on assez de leur contribution dans la construction et l'avancement du savoir? Les femmes sont-elles véritablement présentes dans le contenu des cours que les étudiantes et les étudiants suivent tous les jours à l'université ?
Telle est la conclusion - en forme de point d'interrogation - à laquelle en est venue Johanne Daigle, professeure au Département d'histoire, au terme d'une conférence organisée conjointement le 5 février par le Département de science politique, la Chaire d'étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes et le Comité femmes. D'entrée de jeu, Johanne Daigle a reconnu que cette question du sexisme dont elle devait débattre en conférence avait suscité un malaise - voire de l'agressivité - chez les personnes à qui elle en avait parlé, comme si le "problème" était à toutes fins pratiques réglé et qu'il était temps de passer à autre chose.
"Au début des années 1970, il y a eu entrée massive des femmes à l'Université Laval, a souligné la conférencière. À peine vingt ans plus tard, elles étaient non seulement majoritaires dans l'ensemble de l'Université mais elles avaient effectué des percées inédites dans des disciplines jadis réservées aux hommes, comme le droit ou la médecine. En outre, des statistiques montrent qu'elles réussissent souvent mieux que leurs collègues masculin. Doit-on en conclure que l'Université serait devenue plus adaptée aux femmes qu'aux hommes? Assisterions-nous à une forme de sexisme à l'envers?"
Où sont les femmes?
Malgré ces considérations optimistes sur la situation des
femmes à l'université, il n'en demeure pas moins que certains
problèmes persistent, a révélé Johanne Daigle.
Notamment en ce qui concerne le corps professoral: en 1979, le pourcentage
de femmes professeures à l'Université était de 12 %;
en 1998, il tourne autour de 20 %. Au Département d'histoire, les
six dernières personnes à avoir été embauchées
étaient des hommes, et ce, en dépit de la présence
de femmes au sein du comité de sélection. "Ce manque
à gagner" de la part des femmes sera toutefois comblé
par le départ des professeurs qui prendront leur retraite au cours
des prochaines années. En 2004, le Département d'histoire
pourrait ainsi compter un pourcentage de 40 % de femmes en ses rangs.
Selon Johanne Daigle, le problème se situe plutôt au sein de la discipline historique, c'est-à-dire dans le contenu des cours d'histoire, où les femmes continuent là aussi à être sous-représentées. "Il existe une multiplication d'études sur l'histoire des femmes. Mais malgré l'intention initiale d'intégrer les femmes à l'histoire, ces études sont demeurées marginales. Actuellement, le débat sur la modernisation du Québec est un débat fascinant. Mais c'est un débat dans lequel on cherche en vain les femmes." Ayant elle-même tenté d'intégrer la question des femmes et de leur apport à la société dans un cours d'histoire du Québec contemporain, l'historienne a senti quelques réticences de la part des étudiants, dont plusieurs commencent à se plaindre qu'"il y trop de cours sur l'histoire des femmes".
Une question d'angle
Lors de la période de questions qui a suivi le débat, une
étudiante de science politique s'est plainte du fait qu'il existait
très peu de cours où on traitait des femmes dans sa discipline,
bientôt suivie par une étudiante de sociologie qui, à
la veille de compléter son baccalauréat, n'avait pas encore
lu ou entendu parler d'auteures ou de chercheuses dans ses cours. Là-dessus,
un professeur du Département de science politique a parlé
de ses difficultés à intégrer les femmes dans un de
ses cours où il était notamment question de conflits armés.
"À partir de quand minimise-t-on la place des femmes?",
s'est-il interrogé. "La population des femmes étant de
50 %, vais-je me mettre à parler des femmes la moitié du temps?"
"Tout est une question d'angle, a alors répondu quelqu'une.
Il faut apprendre à traiter l'histoire et à aborder les problèmes
sous un angle différent."
Le mot de la fin revient à cette personne qui s'est demandé si la présence plus grande de professeures femmes à l'Université faciliterait la vie des étudiantes: "Est-ce que la présence des médecins a contribué à humaniser la médecine?"