12 février 1998 |
Un ouvrage de Lise Garon, professeure au Département d'information et de communication, lève le voile sur un Maghreb où se joue secrètement le drame des droits et libertés
Ah, le beau petit pays heureux qu'est la Tunisie. Les agences de voyage n'en finissent plus de vanter les charmes de cet "eldorado" d'Afrique du Nord qui attire, bon an, mal an, des milliers de touristes du monde entier, avides d'exotisme à bon compte. Mais savait-on que les organisations internationales de défense des droits de l'homme sont interdites de séjour à Tunis, la capitale, et que la presse y est en quelque sorte "neutralisée"? Ce sont ces vérités cachées - et beaucoup d'autres encore - que Lise Garon, professeure au Département d'information et de communication, étale au grand jour, dans son livre Le silence tunisien Les alliances dangereuses au Maghreb, qui vient tout juste de paraître aux éditions l'Harmattan.
"Le silence tunisien s'apparente à un virus informatique, affirme Lise Garon. C'est un mal qui envahit les places publiques et obstrue la liberté de parole. Dans cet ouvrage, je tente de démontrer comment se perd la capacité de parler dans un pays et comment le silence s'installe au sein d'une démocratie-spectacle qui n'a rien à voir avec la réalité." Docteure en science politique, Lise Garon s'intéresse depuis toujours aux droits et libertés de la personne. Ses recherches portent sur l'évolution des libertés publiques en Algérie, au Maroc et en Tunisie, pays du Maghreb "où les alliances entre le pouvoir et les acteurs civils se sont constituées aux dépens des libertés". La thèse des alliances dangereuses lui sert d'ailleurs de fil d'Ariane dans Le silence tunisien.
"En Tunisie, ces alliances ont été fatales au développement d'institutions civiles fortes et d'un État de droit, contrepoids nécessaire à la tentation autoritaire et au retour à la tyrannie, soutient-elle en avant-propos de l'ouvrage. En Algérie, elles ont servi à légitimer le retour des militaires sur la scène politique, mais, à la faveur du déficit de légitimité du pouvoir et de la violence armée, la société n'a pas tout perdu. Au Maroc, par contre, les acteurs civils ont définitivement pu survivre à ces amitiés dangereuses. Après une longue période d'étouffement, les libertés civiques ont resurgi et, même en l'absence de mécanismes formellement démocratiques, les institutions civiles se développent de manière stable et continue."
Une place au soleil
Pour les fins de cet ouvrage auquel elle a consacré sept ans de sa
vie, Lise Garon a mené des entrevues auprès de centaines d'informateurs
maghrébins, dont certains résident toujours en Tunisie tandis
que d'autres sont exilés en Europe. La plupart ont voulu garder l'anonymat,
par crainte des représailles. Leurs témoignages ont été
accueillis dès lors qu'ils étaient des témoins directs
de leurs récits, qu'ils pouvaient les appuyer par des archives et
que leurs dires ne se contredisaient pas. "On parle de ces gens-là
mais on ne sait pas ce qu'ils ont à dire, dit Lise Garon. J'ai voulu
leur donner la parole. "
Au passage, l'auteure écorche quelques idées préconçues sur la fatalité de la tyrannie en terre arabe, soutenant que des facteurs comme l'histoire, la religion, la culture et le sous-développement, le contexte géopolitique international ne représentent pas des obstacles absolus au développement des libertés. Selon elle, l'explication des échecs se trouve ailleurs, soit dans les stratégies de coopération ou de conflit que les différents acteurs de la scène publique développent pour se tailler une place au soleil. Mais ces stratégies ont parfois des conséquences imprévisibles sur le développement des institutions civiles et des libertés. D'où l'importance d'en tirer les conclusions qui s'imposent pour l'avenir des sociétés humaines.
Ayant bénéficié d'un climat de liberté intellectuelle absolue tout au long des recherches l'ayant conduite au point final du Silence tunisien, Lise Garon souhaite rendre hommage aux autorités universitaires qui, à tout moment, l'ont apppuyée dans ses démarches. "C'est un livre dont le sujet très chaud ne rendra pas l'Université Laval populaire auprès des ambassades maghrébines, note-t-elle. Quand on sait que l'Université accueille un très grand nombre d'étudiants maghrébins, cet appui vaut la peine d'être souligné."