15 janvier 1998 |
L'avenir de la colonisation lunaire par le genre humain se joue lors de la mission Lunar Prospector.
Après avoir effectué 22 missions lunaires entre 1964 et 1972, dont six incluant l'alunissage de cosmonautes, la NASA avait classé l'exploration de la Lune quelque part entre l'oubli et l'ennui. Mais voilà que ce mois-ci, Lunar Prospector remet notre blanche voisine sur la carte. Le satellite de la NASA, lancé de Cape Canaveral le 6 janvier, est entré en orbite lunaire en début de semaine. Au cours des 18 mois qui viennent, il explorera l'environnement lunaire en vue d'en élucider les origines et de dresser l'inventaire des ressources naturelles disponibles pour l'éventuel établissement d'une station habitée à sa surface.
Après une éclipse d'un quart de siècle, il est surprenant qu'une mission vers la Lune ait été retenue par la NASA parmi les projets présentés dans le cadre du premier concours de son programme Discovery. "Au lieu de faire une grosse mission tous les dix ans et de risquer un échec important, les responsables de la NASA préfèrent maintenant financer plusieurs petites missions moins coûteuses, explique Yvan Dutil, étudiant au doctorat du Groupe de recherche en astrophysique de l'Université Laval. Si un projet échoue, l'impact est moins catastrophique. Mais, avec des budgets limités et l'obligation de compléter chaque mission en moins de trois ans, on va moins loin."
Malgré tout, estime l'étudiant-chercheur, la Lune a encore bien des secrets à nous révéler. "Lors des missions Apollo, la science venait loin dans les priorités. Ce qui importait pour les Américains, c'était de marcher sur la Lune avant les Soviétiques. D'ailleurs, les échantillons lunaires rapportés sur la Terre provenaient de six endroits seulement, ce qui est nettement insuffisant pour établir la géologie d'un satellite de la taille de la Lune. Avec Lunar Prospector, on va faire un peu de science."
Le satellite américain ne se posera pas sur la Lune mais les cinq appareils qu'il transporte devraient permettre d'inspecter, d'une altitude de 89 kilomètres, les 75 % de la surface lunaire jamais explorée. Les chercheurs récolteront des données sur la composition chimique du sol lunaire mais aussi sur le champ gravitationnel et le champ magnétique du satellite. La mission Lunar Prospector permettra ainsi de vérifier l'hypothèse selon laquelle la Lune aurait été formée à la suite d'une collision entre la Terre et une planète de la grosseur de Mars. Une partie de la croûte terrestre aurait alors été arrachée et les débris se seraient condensés pour former la Lune. "Ceci expliquerait pourquoi la composition chimique de la Terre et de la Lune présentent, à la fois, autant de similarités mais aussi des différences importantes", signale Yvan Dutil.
Les pôles pourraient receler des surprises intéressantes, poursuit-il. "On croit que certains cratères très profonds situés au pôle sud, là où le Soleil ne frappe jamais, pourraient contenir de la glace provenant de comètes qui se sont écrasées là." La présence de glace constitue un élément déterminant pour une éventuelle colonisation lunaire. D'une part, parce que l'eau est essentielle à la survie humaine et qu'en expédier à partir de la Terre serait hors de prix. D'autre part, parce qu'on pourrait en tirer de l'hydrogène pour fabriquer du combustible. "Il faut énormément de carburant pour transporter du carburant dans l'espace à partir de la Terre. S'il y avait de l'hydrogène sur la Lune, on pourrait s'en servir pour produire du combustible. L'idée de la NASA est d'utiliser la Lune comme plaque tournante pour l'exploration du reste du système solaire."
Biais d'astrophysicien sans doute, Yvan Dutil entrevoit d'autres usages pour cette base lunaire. "On pourrait y installer un radiotélescope ou un télescope de grandes dimensions, loin de la pollution produite par les ondes radio ou de la pollution lumineuse de la Terre. En plus, le ciel y est dégagé en permanence."
Dans 18 mois, lorsque ses réserves de carburant seront épuisées, Lunar Prospector ira s'écraser à la surface sur la Lune. Les données qu'il transmettra d'ici là à la Terre détermineront si cet écrasement sera la fin d'un rêve ou le feu d'artifice marquant le début de la colonisation lunaire par le genre humain.