15 janvier 1998 |
Colette Gendron estime qu'en niant la mort, notre
société risque de
perdre le sens de la vie.
Ne le dites à personne, mais Colette Gendron travaille depuis une vingtaine d'années sur un sujet hautement tabou, qu'on n'évoque généralement qu'à mots couverts et à voix basse. Cette professeure à la Faculté des sciences infirmières a en effet consacré une partie de sa carrière à l'étude de la mort, et vient de publier La mort, condition de la vie, aux Presses de l'Université du Québec, en collaboration avec la journaliste Micheline Carrier.
Même si Colette Gendron se passionne pour la manière dont les gens meurent ou envisagent le grand départ, cette femme sensible croit, avant tout, à la vie. Nullement morbide ou macabre, la chercheure constate simplement, et quotidiennement, que ses contemporains souffrent de ne pouvoir évoquer la perte d'un être cher. "Quand les gens savent que j'ai écrit un livre sur le sujet ou que je donne un cours optionnel à l'Université Laval sur la mort, ils viennent spontanément me confier leur peine, ou entreprennent le récit des derniers moments d'une personne proche, explique-t-elle. Dans notre société qui mise sur la performance et la productivité, on répugne à exposer ses échecs et sa tristesse."
Au delà du phénomène
Cette négation de la mort révolte Colette Gendron car,
à l'entendre, les gens perdent le sens de la vie en s'illusionnant
sur la croyance en une prétendue immortalité, alimentée
par une technologie médicale en pleine croissance. Le milieu de la
santé n'échappe pas, selon elle, à cet aveuglement
volontaire, car bien des infirmières et des médecins nient
tout simplement la souffrance subie par leurs patients, et se sentent mal
à l'aise pour accompagner des mourants qu'ils auront tendance à
surmédicamenter.
"Bien sûr, les soins palliatifs, où on écoute les malades en leur fournissant des services personnalisés et un soutien psychologique, jouent un rôle très important, précise-t-elle. Mais je crois qu'ils devraient exister tout au long de la vie afin d'aider les gens à vivre des moments difficiles, et s'étendre dans l'ensemble des services hospitaliers."
Partisane d'une mort plus humaine, où le malade vit ses derniers moments à domicile, entouré par sa famille et ses proches, Colette Gendron sait pertinemment que notre rythme de vie moderne rend difficile un tel type d'accompagnement. Mais il faut, selon elle, tenter de s'organiser pour pouvoir s'aménager des moments avec des mourants qui ont tant besoin de relations humaines profondes lors de cette étape de la vie. À trop reléguer ces derniers dans les hôpitaux pour leurs derniers instants, nous perdons, selon elle, contact avec la réalité de la mort. Du coup, certaines personnes éprouvent beaucoup de difficultés à faire face à la perte d'êtres chers car rien ne les a préparés à ce passage qui paraît mystérieux et inconnu.
Inventer un nouveau rituel
Si, dans son livre, l'auteure aborde longuement les pratiques funéraires
à travers l'histoire et l'attitude des différentes religions
face à la mort, elle constate que les rites utilisés actuellement
ne correspondent plus à l'évolution de notre société.
Ses élèves se montrent ainsi fort surprises quand elle leur
demande d'interroger leurs parents sur la façon dont ils aimeraient
qu'on dispose de leur corps à leur décès, car c'est
généralement la première fois que les familles évoquent
ensemble ce sujet. Colette Gendron remarque également que de nombreuses
personnes, qui subissent la perte d'amis ou de membres de leur famille,
ne savent plus à quel rituel se vouer.
"Les gens ne savent plus quoi faire quand le dècès survient. Faut-il exposer ou non le corps, choisir l'incinération ou l'enterrement, se satisfaire d'une cérémonie religieuse impersonnelle? Les repères manquent cruellement." Même si, selon elle, la recette miracle n'existe pas, l'auteure de La mort, condition de la vie explique qu'elle a beaucoup apprécié la cérémonie qui a entouré le service funèbre de Francine Ouellet, la directrice du Centre de recherche sur la violence faite aux femmes récemment décédée. Elle remarque que les proches de cette chercheure passionnée lui ont rendu hommage avec sobriété et émotion, et que chacun a pu exprimer sa peine dans ses propres mots.
Finalement, l'essentiel demeure la possibilité pour ceux qui affrontent la perte d'un être cher d'en parler et de raconter les émotions qui les submergent. Les réseaux familiaux et amicaux semblant aujourd'hui de plus en plus distendus, la mise en place de groupes d'aide constitue aux yeux de Colette Gendron une alternative intéressante pour prendre la parole, même si elle envisage cette solution comme un pis-aller. Qui, mieux que nos proches, peut nous comprendre et nous aider dans de telles circonstances?