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8 janvier 1998 ![]() |
Le troisième volume de la collection "Atlas historique du Québec" présente, par la cartographie, une passionnante genèse territoriale du Québec.
"Une synthèse qui donne le goût du Québec". Voilà comment Serge Courville, directeur du Laboratoire de géographie historique de l'Université Laval, résume le dernier-né de la collection "Atlas historique du Québec", qu'il signe en collaboration avec un géographe des Archives nationales du Québec, Claude Boudreau, et un historien de l'Université du Québec à trois-Rivières, Normand Séguin. Publié conjointement par les Presses de l'Université Laval et les Archives nationales du Québec, ce volume, portant sur le territoire, vise à donner au grand public des balises claires, des références pour interpréter un paysage que les passants connaissent mal, même s'ils le traversent quotidiennement. Le territoire se distingue surtout des deux autres publications de la collection (Le pays laurentien au XIXe siècle, Population et territoire) par son illustration mettant en valeur de nombreuses cartes et plans.
L'histoire de la cartographie du Québec s'apparente un peu à celle d'un casse-tête qui se met en place peu à peu au fil des siècles. L'authenticité de la première pièce du puzzle demeure encore très controversée puisque plusieurs chercheurs contestent que la carte de Vinland, qui indiquait dès 1440 la présence d'une île à l'ouest de l'Europe ressemblant fort à l'Amérique du Nord, remonte vraiment à cette époque. Avec les différentes explorations menées par Jacques Cartier dès 1542, les récits des commerçants et des pêcheurs basques et surtout la contribution majeure de Samuel de Champlain, la carte se précise. Cet outil devient d'ailleurs précieux pour les Anglais et les Français qui tentent d'affirmer leur hégémonie sur ces colonies lointaines à travers le tracé de frontières sur papier.
Il suffit de lire les journaux qui évoquent fréquemment les mouvements partitionnistes ou les demandes répétées du Québec pour récupérer le Labrador pour comprendre que ces polémiques demeurent encore d'actualité. "Il me semble qu'on adopte toujours un point de vue négatif, lorsqu'on parle du territoire, qu'il s'agisse d'évoquer sa division ou son rétrécissement comme une peau de chagrin, remarque Serge Courville. Avec cet atlas, nous avons voulu fournir aux lecteurs un instrument pour comprendre tout simplement la cohérence de cet espace dans l'ordre historique."
Un ouvrage agréable à consulter
Aidés de nombreux étudiants du Centre interuniversitaire d'études
québécoises, et appuyés par les Archives nationales
du Québec, les trois auteurs ont puisé dans un matériel
cartographique abondant pour bâtir un ouvrage très illustré
et facile d'accès. Certaines de leurs cartes viennent d'ailleurs
de Grande-Bretagne ou des États-Unis et présentent, par exemple,
des seigneuries qui ne se retrouvent pas dans les autres ouvrages historiques.
L'évolution de la technologie informatique a facilité également
la mise en place d'une solide documentation à partir notamment de
données disponibles dans les recensements, les journaux, les répertoires.
L'utilisation de techniques de reproduction sophistiquées donne par
ailleurs aux illustrations, souvent très anciennes, une facture fort
attirante.
Des plans de seigneuries, comme celle de Lauzon, prennent ainsi un relief particulier avec les textes explicatifs très clairs qui les accompagnent sur l'aménagement en rang, très caractéristique du peuplement au XVIIe siècle dans la colonie laurentienne. En présentant l'évolution chronologique du territoire, traité à travers quelques grands thèmes, les auteurs mettent en lumière l'imbrication des différents découpages administratifs qui divisent la province. L'atlas insiste en effet sur les constants aménagements que les différents colonisateurs ont dû consentir pour s'adapter à la réalité québécoise.
Dans le moule britannique
En effet, même si après la conquête de 1759-1760
les Anglais décident de créer des townships de forme carrée
et non longitudinale, la pression démographique reste insuffisante
pour pousser les Canadiens français à coloniser les cantons.
Il faut attendre la Révolution américaine, et l'arrivée
des Loyalistes en Estrie pour assister à la naissance des Cantons
de l'est, puis au découpage en cantons à l'arrière
des seigneuries. Mais ce modèle de division des terres, à
caractère anglais, se francise au contact des arpenteurs francophones
qui réduisent la taille des lots à 100 acres, bien proche
des 90 arpents attribués aux colons au début de la colonie.
De la même façon, les comtés institués par la
démocratie anglaise afin que les citoyens élisent leur représentant
à la Chambre d'assemblée reprennent les découpages
des vieilles seigneuries.
La lecture de ces plans de paroisses, de municipalités, de zones d'exploitation contrôlée, de terres agricoles, de ces photos aériennes montrant l'urbanisation rapide du paysage depuis trente ans, ou même des cartes routières et ferroviaires devient, avec cet atlas, aussi passionnant qu'un roman historique à clefs. Brusquement ces champs que nous traversons distraitement au volant de notre automobile prennent sens, et les multiples événements historiques appris à l'école ou ailleurs s'inscrivent enfin dans un espace qui leur donne une réalité bien tangible. Avec le dernier-né de la collection "Atlas historique", les citoyens du Québec disposent donc enfin d'un outil pour mieux comprendre les différents phénomènes qui affectent l'aménagement du territoire, qu'il s'agisse de la construction d'une nouvelle route ou du lent exode des anglophones vers l'Ouest.