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11 décembre 1997 ![]() |
Idées
PAR SERGE GENEST,
PROFESSEUR AU DÉPARTEMENT D'ANTHROPOLOGIE
Je sais gré au recteur de soumettre son rapport à l'examen et aux commentaires des membres de la "communauté universitaire". Dans cet esprit, j'aimerais revenir sur certains éléments qui méritent, à mon sens, d'être analysés en profondeur.
La mission de l'université:
En mettant l'accent sur la qualité de la formation, sur la priorité
accordée aux étudiantes et aux étudiants, sur un environnement
stimulant de recherche et de création et sur l'esprit critique, la
première recommandation touche les éléments essentiels
de la raison d'être de l'Université. Elle met l'accent sur
les valeurs fondamentales qui doivent guider le choix des moyens. Il s'agit
là d'une vision "généreuse", présente
à son temps.
Par la suite, malheureusement, la générosité de cette première recommandation se mue en une série d'outils (v.g. langues, technologies) et en une vision utilitariste de portée limitée (les soi-disant besoins de la société). Il ne s'agit plus ici de proposer des moyens d'appliquer les principes précédents, mais bien plutôt de ramener les principes aux moyens. Et cette approche prévaut tout au long du rapport.
La formation au premier cycle:
D'emblée, la commission du recteur revient sur l'importance d'"assurer
une formation plus fondamentale" et de mettre en commun les ressources
pédagogiques pour le faire. Décloisonnement disciplinaire
et des structures facultaires que nous rabâchons dans nos discours
depuis des années sans parvenir à générer l'enthousiasme
qu'une telle proposition mériterait. C'est comme si tout le monde
parlait d'ouverture mutuelle des programmes et de multidisciplinarité
pour mieux éviter d'en faire! Je me demande quel est l'intérêt
de revenir sur cette question si c'est pour se gargariser à nouveau
de belles intentions?
Par ailleurs, comment parviendrons-nous à réduire la taille des groupes pour favoriser la relation maître-élève, tout en décloisonnant les programmes, en mettant les ressources en commun et en diminuant le nombre de professeures et de professeurs? Réponse: l'utilisation des technologies de l'information.
Et puis, comment allons-nous améliorer la qualité pédagogique des maîtres, soutenir l'encadrement pédagogique? Réponse: l'utilisation des technologies de l'information.
Il y a dans le texte une tendance manifeste à faire équivaloir qualité du rapport pédagogique, aptitudes pédagogiques et maîtrise des technologies de l'information. Comme on dit familièrement: "C'est aller un peu vite en business." A moins de considérer qu'il n'y a pas de "bond qualitatif" entre la formation universitaire et les ordres d'enseignement qui précèdent. La fameuse "cégépisation" des universités souventes fois annoncée et de moins en moins repoussée.
Pourtant, pour éviter un tel problème précisément, l'idée de mieux arrimer les activités des "collèges" à celles de l'université est importante et revient avec de plus en plus d'insistance, y compris dans le rapport du recteur. C'est fort bien. Mais alors, pourquoi ne pas en profiter pour mettre ces liens à contribution en proposant que les collèges prennent charge des "programmes courts spécialisés" destinés à une intégration plus rapide au marché du travail?
Sur l'internationalisation:
Ce serait de la mauvaise volonté de ma part, en tant qu'anthropologue,
de ne pas souscrire au projet de faire que "le caractère international
des programmes [de l'Université Laval] soit accentué et devienne
une de ses lignes de force". Mais faut-il que cette rubrique n'apparaisse
que sous le chapitre des études de premier cycle? Que signifie concrètement
"l'intégration dans les programmes d'activités d'apprentissage
axées sur les phénomènes internationaux, de cours de
langues..."?
Le rapport revient à plusieurs reprises sur l'importance d'intégrer systématiquement des cours de langues dans les programmes. Évidemment, cette proposition doit d'emblée exclure tout ce qui ressemblerait à du rattrapage en français comme en anglais à l'intérieur de nos programmes. Cela ne fait pas partie de la mission universitaire, précisément. Mais intégrer l'enseignement de langues à l'intérieur d'un cheminement d'"internationalisation" -qu'on pense à l'espagnol, à l'allemand, voire au chinois, au japonais ou à l'arabe- demande plus que 45 heures de cours. Au-delà de l'insistance avec laquelle on revient sur ce type de formation, quelle importance lui accorde-t-on vraiment?
Quant à l'internationalisation entendue cette fois comme un bloc de formation supplémentaire/complémentaire sur les phénomènes internationaux et non plus seulement comme une initiation à une langue, que faut-il en penser? Aucune précision n'est donnée sur les moyens d'inscrire concrètement une telle approche dans les divers curricula. Plus encore, au lieu de faire appel aux programmes de la Faculté des sciences sociales comme moyens prioritaires pour structurer cette démarche, c'est dans les sections sur la responsabilité sociale de l'Université et son engagement dans le développement culturel que cette faculté apparaît! A quoi bon parler de multidisciplinarité s'il ne vient pas à l'idée du comité du recteur de l'implanter dans l'un des axes principaux de sa réflexion?
Études supérieures et recherche:
Je suppose qu'on conviendra que c'est grâce à la production
des connaissances (par opposition à la transmission des connaissances)
que l'université a pu développer les fonctions de création
et de critique qui s'inscrivent au coeur de sa mission. Autrement dit, ce
qui fait que l'université est qualitativement différente des
autres ordres d'enseignement, ce sont la puissance de création et
la capacité critique liées à la production des connaissances.
Les travaux de recherche des personnes inscrites aux 2e et 3e cycles et
de celles qui leur enseignent constituent le noyau central de cette énergie
critique et créatrice.
Qu'il faille des appuis financiers adéquats à ces activités, personne n'en disconviendra. Par ailleurs, laisser entendre qu'il y aurait corrélation entre soutien financier et production des thèses dans des "délais raisonnables" ne résisterait pas à l'analyse de l'ensemble des programmes d'études supérieures de l'université, selon mon expérience. Sur cette même question du financement des études de 3e cycle, que sous-entend l'énoncé à l'effet d'apporter "une attention particulière à la diversité des situations"? Peut-on être plus clair?
La rectitude politique ainsi que la course aux dollars font en sorte qu'aucune administration universitaire ne saurait aujourd'hui s'abstraire de la recherche de "nouvelles sources de financement", de créer des liens avec les milieux d'affaires, sans subir l'anathème. Soit. Mais évitons encore une fois de trouver une panacée à tous nos maux dans cette façon de procéder, d'associer mécaniquement la créativité universitaire aux besoins des entreprises et d'ainsi suspendre dans la foulée la fonction de critique des connaissances, fondement de la recherche universitaire.
Bien sûr, une administration universitaire doit se préoccuper de boucler ses budgets, d'éviter les déficits. Mais une administration universitaire qui lorgne davantage vers les cotes en bourse et à qui il ne faut que quelques poignées de dollars venant des entreprises pour se plier docilement aux "besoins de la société" crée un climat, donne un signal, comme on dit, contraire aux principes qui fondent la mission de l'université.
Ce n'est pas être passéiste que de vouloir conserver des lieux de création et de critique comme les universités dans notre société. Ce n'est pas non plus faire montre de pragmatisme et d'avant-gardisme, contrairement à ce que d'aucuns laissent croire, que d'adhérer à une vision utilitariste de la connaissance. Conservons concrètement à l'université sa mission fondamentale, au delà des discours de bon aloi.
La formation continue:
Quel plaisir de lire que "nos actions en matière de formation
continue doivent être non seulement de niveau universitaire, mais
guidées par des priorités". Mieux encore, la formation
continue devrait s'inscrire dans "le prolongement des activités
de formation universitaire de premier cycle" et le perfectionnement
personnel non universitaire pourrait être confié à d'autres
institutions. Une vraie bénédiction. Et ce n'est pas tout!
La cerise sur le sundae ou le bon morceau de triple crème sur la
baguette cuite à point, c'est que ces activités de formation
fassent partie de la tâche professorale. Des orientations structurantes
dans un secteur d'activités en pleine expansion et dans lequel les
choses bougent apparemment parfois tellement vite qu'on n'a pas le temps
d'exercer son jugement critique. J'applaudis.
Mais coup de théâtre! Alors que je croyais que tout était devenu clair, voilà qu'on explique que mes collègues pourront retirer des bénéfices de la formation continue si cette activité vient en surplus de leur charge de travail! J'avoue qu'il me faut ici de l'aide pour saisir toute la complexité de la réalité à laquelle on me convie.
Autre élément d'inquiétude: l'accent mis sur la rentabilité de la formation continue. Comment concilier les principes de structuration tels que je les ai repris plus haut, avec la volonté de s'en servir comme d'une source majeure de revenus pour éponger une partie de notre déficit? Sur ce point comme sur d'autres, le comité du recteur est amené à tenir un double discours étant donné le cadre dans lequel il a dû travailler. D'un côté maintenir une apparente ambiguïté sur les orientations et de l'autre, foncer à plein régime vers toutes les demandes de programmes courts et de formation sur mesure qui se présenteront.
Sur les nouvelles technologies de l'information:
Bien que ce soit sous la rubrique de la formation continue qu'une section
sur les technologies de l'information apparaisse, ce sujet revient un peu
partout dans le rapport, tel un leitmotiv. Il fait partie des moyens qui
viennent remplacer les principes.
La plupart de mes collègues, oserais-je croire, conviendront que les technologies de l'information et de la communication constituent, dans le cadre des programmes de formation universitaire, des outils pour aider à la transmission de l'information et à la production des connaissances. Les nouvelles technologies présentent des avantages de flexibilité et de performance dont on n'imagine mal de pouvoir se passer de nos jours. Mais la consommation de l'information n'entraîne pas automatiquement la capacité de la traiter, de faire les synthèses appropriées. Sans compter que l'utilisation de ses outils de consommation de l'information ignorent l'expérience développée sur des sujets de pointe par les maîtres, ainsi que l'esprit critique qui l'accompagne nécessairement. Sinon, pourquoi s'inscrire à l'université s'il suffit de s'en remettre à ces ersatz de savoir?
Évitons de confondre l'utilisation des technologies de l'information et de la communication avec la possibilité d'une formation universitaire reposant sur le "téléguidage". A moins d'accepter de se lancer dans une approche que le comité du recteur propose justement d'éviter: le "développement personnel non universitaire".
Sentiment d'appartenance, culture organisationnelle et pratiques de
gestion:
Il me semble impossible de dissocier le sentiment d'appartenance d'une part
et la culture organisationnelle et les pratiques de gestion, d'autre part,
comme on le fait dans le rapport.
J'adhère aux critères que le comité du recteur retient pour définir le sentiment d'appartenance: respect mutuel, sentiment de fierté, valorisation des personnes et participation à la prise des décisions. Sur ce dernier point, il ne me semble toutefois pas approprié de penser "susciter" la participation à la prise de décision dans une organisation, y compris une université. Une vision qui rappelle le modèle des approches du haut vers le bas.
Là où la direction d'une université se doit d'exercer un leadership, c'est à trouver des moyens pour aider à construire un climat de travail, i.e. créer les conditions qui vont induire et faciliter la participation désirée. Et un climat de travail ne saurait équivaloir à la somme des conventions collectives négociées avec les travailleuses et les travailleurs. Il se construit précisément dans le respect mutuel, la valorisation des personnes et la confiance dans leur capacité à accomplir leurs tâches. Il s'agit là d'une dynamique à recréer sans cesse, dans la vie de tous les jours.
Il ne saurait y avoir de processus de décentralisation réussi s'il n'y a pas un climat de travail qui facilite une tel changement structurel. Pas de culture de l'exigence s'il n'y a pas un climat de travail bâti au quotidien. Impasse également sur le droit à l'erreur si le sentiment d'appartenance qui doit orienter les efforts de tous les membres de la communauté universitaire vers des objectifs partagés fait défaut.
Sans ces préalables, le "passage à une gestion décentralisée" satisfera peut-être la confection de l'organigramme de la direction de l'université, mais il s'effectuera dans la frustration et dans le manque d'adhésion des uns et des autres. Et nous continuerons de faire de beaux discours sur le sentiment d'appartenance. Et mes collègues et tous les autres personnels de se désengager, comme c'est déjà trop souvent le cas, du travail pour lequel nous sommes payés: la formation des étudiantes et des étudiants et la création de nouvelles connaissances.
Épilogue:
Les médias diffusent ici et là des informations sur les positions
développées dans le rapport du recteur.
Ainsi nous savons déjà que la direction de l'université
misera de plus en plus sur la formation continue comme source de revenu,
sur les technologies de l'information pour pallier à la diminution
du nombre de professeures-eurs. Il y aura certes implantation du BVAR à
Montréal et un rapprochement de plus en plus marqué avec le
secteur privé qui conduira les programmes à s'aligner sur
les demandes à court terme des entreprises.
Est-ce parce que ces "nouvelles" laissent penser que la consultation qui a lieu maintenant n'aura aucun effet? Que les orientations sont déjà fixées? Est-ce parce que les "membres de la communauté universitaire" affichent un total désabusement devant un rapport qui s'ajoute aux autres récemment rendus publics? Est-ce que se sont là les causes de l'absence de réactions au document du recteur? Le silence, on le sait, peut souvent être utilisé comme preuve de consentement ou de désengagement et laisser ainsi la voie libre à toutes les décisions des "gestionnaires".
Sur ce plan, le cheminement que suivra le rapport du recteur après la période de consultation nous indiquera si nous sommes en face d'une volonté sincère de changement de notre "culture organisationnelle": un curieux mélange de centralisation de type autoritaire et de laisser-faire sous prétexte que c'est de la "base" que doivent provenir les initiatives. Car, faut-il le rappeler, c'est d'abord la vision et les comportements d'une équipe de direction qui créent la "culture" d'une organisation. Aussi la limpidité de ses intentions.