4 décembre 1997 |
Profil
Handicapé visuel, champion du monde au lancer du javelot, France Gagné aborde la science politique comme un athlète.
Handicapé visuel de naissance, France Gagné distingue les silhouettes mais demeure toutefois incapable de distinguer un homme d'une femme, à cinq mètres de distance. S'il dispose d'une vision réduite à moins 15 % le jour, il n'y voit absolument rien sous un faible éclairage. Pourtant, cet étudiant en science politique qui s'entraîne depuis dix ans (dont quatre ans avec le Rouge et Or) mène un carrière d'athlète de niveau international, détenant plusieurs titres mondiaux dans les disciplines du lancer du javelot, du disque et du poids. Triple médaillé d'or en 1997 au Championnat canadien d'athlétisme pour personnes handicapées (javelot, disque et lancer du poids), médaillé d'argent aux Jeux Paralympiques d'Atlanta en 1996 (javelot) et à ceux de Barcelone en 1992 (disque), double médaillé d'or (javelot et disque) au Championnat international d'athlétisme pour personnes handicapées en 1995: France Gagné est ce qu'on appelle une force de la nature. "Dans la vie, l'important est de se faire plaisir et de prendre les moyens pour y arriver", dit simplement ce solide gaillard qui respire le calme et la joie de vivre.
Le 27 novembre, France Gagné a appris une nouvelle qui l'a rendu encore plus heureux: après plusieurs semaines d'attente, l'Association internationale pour les personnes handicapées et l'Association canadienne ont officiellement reconnu son record du monde au javelot, réalisé lors du Championnat d'Europe pour handicapés visuels qui a eu lieu en Italie, en septembre dernier, alors que l'athlète effectuait un lancer de 51,79 m. Conscient de ses limites - mais toujours prêt à les dépasser et à faire valoir ses droits - cet homme de 34 ans a senti dès son plus jeune âge que son handicap ne l'empêcherait pas de vivre comme il l'entendait. Dans son cas, cela signifie vivre comme les voyants... ou presque. "Il y a deux ans, j'ai fait du ski alpin pour la première fois de ma vie. Lors des descentes, je pouvais voir les arbres mais pas les bosses, ce qui m'a valu quelques bonnes chutes. Mais entre la peur de tomber et le goût de faire du ski, c'est le second choix qui l'a emporté."
Une volonté de fer
Casse-cou dans l'âme, France Gagné a également toujours
aimé le sport sous toutes ses formes, s'adonnant à plusieurs
activités "accessibles" comme le football, le soccer et
la natation. S'il s'est tourné vers le lancer du javelot, du disque
et du poids, c'est que ces disciplines lui permettaient d'avoir le contrôle
sur lui-même, explique-t-il. Au javelot, par exemple, cette idée
de contrôle prend tout son sens, l'athlète devant fixer un
point à l'horizon et lancer le plus loin possible. Pour arriver à
ce tour de force, France Gagné a développé toute une
série de mécanismes et d'automatismes lui permettant de lancer
au bon moment... et dans la bonne direction. L'été dernier,
il s'est même payé le luxe de remporter la médaille
d'or "contre" des athlètes voyants, lors d'un championnat
provincial en athlétisme, à Sherbrooke. "Essentiellement,
il faut bien sentir son corps dans l'espace. Le reste est une question de
travail."
Technicien en administration, France Gagné s'est payé récemment un autre luxe: celui de faire un baccalauréat dans une discipline qui le passionne depuis toujours: la science politique. Seulement, vouloir étudier est une chose mais parvenir à réussir ses cours quand on est presque aveugle en est une autre. Se définissant comme un visuel, France Gagné affirme avoir besoin de voir l'image - c'est-à-dire le texte - pour en comprendre le sens. Résultat: il lit en deux semaines ce qu'un autre étudiant lit en deux heures, à cause du grossissement de son aide optique qui a pour effet de réduire son champ de vision. Qu'à cela ne tienne, l'homme entend bien terminer son baccalauréat dans une période de temps raisonnable, préférant voir le bon côté de la médaille plutôt que de broyer du noir. S'il arrive à prendre des notes correctement, les travaux longs constituent pour lui un vrai cauchemar. ("Tous ces livres qu'il faut lire!") Heureusement, certains professeurs plus compréhensifs que d'autres l'aident à voir la lumière au bout du tunnel.
La règle d'or
Le plus beau moment de sa vie, France Gagné l'a vécu en 1992,
à Barcelone, quand le président du CIO (Comité international
olympique) lui a remis sa médaille d'argent, sous les applaudissements
d'une foule de 60 000 personnes. "En sortant du stade, raconte-t-il,
j'ai rencontré une athlète qui pleurait parce qu'elle n'avait
pas pu compétitionner, à la toute dernière minute,
à cause d'un ennui de santé. Il faut toujours savoir qu'entre
la réussite et l'échec, la frontière est mince. Cette
expérience m'a fait beaucoup réfléchir."
Depuis 1994, France Gagné prononce des conférences pour différents groupes et organismes sur la motivation et l'estime de soi. Si cette activité l'aident à financer les compétitions auquelles il participe à travers le monde, il le fait d'abord et avant tout par plaisir. Son message tient en peu de mots: rien n'est impossible dans la vie, quand on fait ce qu'on aime. S'entraînant trois heures par jour, six jours par semaine, l'été comme l'hiver, l'athlète sait de quoi il parle, lui qui doit se faire accompagner dans tous ses déplacements. Mais une volonté de fer compense cette perte d'autonomie: visant ni plus ni moins que la médaille d'or aux Jeux Paralympiques de Sydney qui se tiendront en l'an 2000, France Gagné a le vent dans les voiles et n'a certainement pas le goût de manquer le bateau. "Aux jeunes sportifs, je dis que s'il est important de gagner, il est encore plus important de s'entraider les uns et les autres et surtout, de prendre soin de soi-même. "