4 décembre 1997 |
On a souvent besoin de plus méchant que soi: les oies qui nichent à proximité d'un harfang des neiges se placent à l'abri de leurs prédateurs naturels.
Les années se suivent mais ne se ressemblent pas pour les oies qui nichent dans l'Arctique canadien. En 1993, près de 90 % des oies blanches qui nichaient dans une colonie de l'Île Bylot ont réussi à protéger leur couvée jusqu'à l'éclosion. L'année suivante, au même endroit, catastrophe!, près de 80 % des nids ont été ravagés pendant la couvaison, la plupart par des prédateurs tels que les renards arctiques, les labbes, les goélands et les corbeaux. Des chercheurs de l'Université Laval, qui se rendent annuellement sur les aires de nidification des oies blanches, ont voulu savoir ce qui avait bien pu provoquer pareille hécatombe. En passant en revue les différentes caractéristiques de l'habitat, ils ont constaté qu'un des plus importants facteurs dans le succès de nidification des oies blanches était la proximité d'un nid de harfang des neiges!
"La probabilité qu'un nid d'oie blanche soit détruit par un prédateur augmente en fonction de la distance le séparant du nid d'un harfang", rapportent, dans un récent numéro de Wilson Bulletin, les chercheurs Jean-Pierre Tremblay, Gilles Gauthier et Denis Lepage, du Département de biologie et du Centre d'études nordiques, et André Desrochers du Département des sciences du bois et de la forêt. En 1993, la colonie d'oies étudiée par les chercheurs comptait 236 nids répartis sur un territoire de 1,5 kilomètre carré. Le nid du harfang se trouvait presque au centre de la colonie, ce qui assurait une forme de protection à une forte proportion des oies.
En 1994, un tout autre scénario attendait les oies à leur arrivée sur l'aire de nidification puisqu'aucun harfang n'y nichait. Les quelque 50 nids retrouvés dans le secteur étaient répartis de façon éparse, leur densité atteignant à peine le quart de ce qu'elle était en 1993. De plus, contrairement à l'année précédente, les chercheurs ont observé plusieurs renards arctiques rôder parmi les nids. Les conséquences, placées sous l'enseigne du buffet à volonté pour les prédateurs, parlent avec éloquence: seulement 23 % des couvées ont survécu jusqu'à l'éclosion. Une autre colonie, située à 30 kilomètres de là, a connu un sort similaire; en dépit des 2 000 nids qui s'y retrouvaient, le succès de nidification dépassait à peine 40 %. Là encore, les chercheurs n'ont observé aucun harfang à proximité.
Pit-bull à plumes
Les harfangs repousseraient tous les prédateurs qui s'aventurent
à moins d'un kilomètre de leur nid. Jean-Pierre Tremblay a
lui-même observé un harfang pourchasser un renard arctique
qui avait osé s'aventurer à 750 mètres de sa progéniture.
"Ils s'attaquent même aux humains, dit André Desrochers.
Leur approche est très impressionnante. Ils volent assez haut puis
ils descendent en prenant de la vitesse et ils foncent directement sur toi,
à hauteur d'yeux. Lorsqu'ils ne sont plus qu' à quelques mètres,
ils poussent un cri et sortent leurs pattes. À ce moment, nous aussi
on prend nos pattes."
Les oies apprécient le charmant voisinage du hibou blanc puisqu'ils établissent leur nid après que ce dernier se soit installé. En gardant les prédateurs à distance, les harfangs protégeraient, par ricochet, les nids des oies blanches se trouvant dans les parages. En plus, belle aubaine, ces hiboux attaqueraient très rarement leurs oisons. Bref, nicher à proximité de ces pit-bulls à plumes constituerait une stratégie de protection efficace pour les oies et leur couvée.