4 décembre 1997 |
Colloque du GÉRAC
Pour les Occidentaux, faire des affaires en Asie constitue
une opération à mener avec des baguettes.
Tout le monde se souvient de la gaffe du Premier ministre Jean Chrétien qui, participant au cérémonial du thé au Japon, l'an dernier, avait fait une plaisanterie douteuse sur un petit ustensile qu'il avait comparé à un instrument de barbier. L'affaire avait créé un petit incident diplomatique, ce qui en dit long sur l'importance qu'accordent les Asiatiques au respect de certaines valeurs, dont justement le respect de leur culture. De la même façon, faire des affaires sur les marchés des pays de l'Asie-Pacifique ne se traite pas à la légère et nécessite tout un doigté, dont le principal aspect consiste à posséder une bonne connaissance de la culture des personnes en place.
"Selon une recherche récente, une négociation sur cinq réussit entre les Américains et les Japonais. Dans la majorité des cas, ce sont les différences culturelles qui représentent les causes d'échec", constate Donald Béliveau, conférencier au colloque "Réussir sur les marchés des pays de l'Asie-Pacifique" qui a eu lieu le 2 décembre à l'Hôtel Hilton Québec. Professeur au Département de marketing de la Faculté des sciences de l'administration, Donald Béliveau a fait partie, en 1993, d'une équipe de professeurs chargés d'étudier le cas de 16 entreprises canadiennes faisant des affaires avec le Japon, dans le cadre d'un projet pan-canadien. Il en a rapporté une certain nombre de règles qu'il a partagées avec les participants à ce colloque organisé par le GÉRAC (Groupe d'études et de recherches sur l'Asie contemporaine) de l'Institut québécois des hautes études internationales, en collaboration avec le Centre de Commerce international de l'Est du Québec.
Une question de vision
Première règle d'or: dans la majorité des pays
d'Asie, la collectivité prime sur l'individu, à l'inverse
de la mentalité occidentale. Dans ses démarches auprès
d'une entreprise, l'individu doit donc garder en tête qu'il "vend"
aussi à tout le groupe, du bas de la pyramide jusqu'au sommet, en
passant par le milieu. D'autres règles sont à suivre, comme
le respect de la hiérarchie, l'évitement des conflits et l'acceptation
que les affaires ne se déroulent pas aussi vite qu'on le voudrait.
"Par exemple, les Japonais veulent connaître leur partenaire
avant de conclure une affaire, dit Donald Béliveau. Alors qu'en Amérique
du Nord, la signature d'un contrat représente généralement
la conclusion de négociations, au Japon, elle n'est qu'une indication
du début d'une relation et de la possibilité de nouvelles
négociations à l'intérieur du contrat. De plus, les
Asiatiques n'aiment pas perdre la face; par conséquent, l'étranger
doit constamment avoir cet aspect en tête sous peine de voir échouer
les relations déjà entreprises. Finalement, les Asiatiques
accordent beaucoup d'importance à la façon dont le produit
ou le service est présenté. Il est donc primordial de soigner
la présentation de ce qu'on veut vendre."
Professeur au Département de management de la Faculté des sciences de l'administration et coordonnateur du colloque, Zhan Su a enquêté auprès de 15 joint-ventures sino-françaises (co-entreprises) entre 1985 et 1995, comptant entre 15 et 550 employés. À partir des réponses des gestionnaires français (qui pourraient s'apparenter à celles des gestionnaires québécois) il a dressé un portrait global des différences dans les pratiques managériales des deux pays. "L'un des éléments les plus marquants de cette différence est la planification, explique-t-il. En Chine, les pratiques des entreprises dÉtat montrent globalement une vision à court terme, appuyée par des objectifs relativement peu précis et une certaine forme de conservatisme dans la gestion des opérations. Du point de vue français, la vision se situe beaucoup plus à long et à moyen terme, appuyée par des objectifs directement liés aux coûts et des investissements qui soutiennent un désir d'innovation constant."
D'autre part, rapporte Zhan Su, les gestionnaires chinois montrent une grande réticence face à l'autonomie d'exécution ou l'acceptation de nouvelles responsabilités; en outre, la formation pratique est souvent négligée. De leur côté, les gestionnaires français prennent davantage d'initiative et se sentent responsables de l'exécution des tâches qu'ils mettent en place. L'accent est mis sur la formation pour atteidre une efficacité accrue à long terme. Finalement, l'activité de production témoigne des éléments politico-économique de chaque pays, dans la mesure où l'accent est mis sur la priorité en Chine, alors que le contrôle de la qualité est nécessaire aux entreprises évoluant dans un pays comme la France.
"Tous ces antagonismes sont le fruit d'un passé historique, politique et économique foncièrement différent, conclut Zhan Su. Les éléments propres aux cultures nationales ne sont pas non plus étrangers au comportement au travail et à la façon dont est conçue l'organisation. Or, c'est à partir de cette confrontation des cultures organisationnelles que doit se construire la structure du management partagé."