20 novembre 1997 |
Idées
par Alain Massot, professeur à la Faculté des sciences de l'éducation (*)
"Le droit de réussir semble avoir supplanté le devoir d'assiduité aux études. Le pédagogisme ne vise qu'à camoufler ce débalancement."
* Cet extrait est tiré d'un essai de l'auteur, L'école à temps partagé et le partage du travail, publié récemment par Les Presses de l'Université Laval.
Le parallèle que d'aucuns établissent entre "la médecine à deux vitesses" et "l'école à deux vitesses" est boiteux à maints égards, ne serait-ce que pour la raison essentielle que l'élève n'est pas un malade. Or, cette confusion n'est pas innocente. Il s'agit plutôt d'une réponse idéologique au relativisme sceptique ambiant. Puisque tout se vaut, nul ne détenant aucune certitude, sur quels fondements peut-on asseoir la légitimité de l'évaluation scolaire? La réussite scolaire garantie relève de ce relativisme sceptique et l'on connaîtra bientôt des parents, voire des élèves, poursuivre l'institution scolaire qui n'aura pas su "diplômer le patient". Cette interrogation traverse le monde scolaire de part en part sous le décorum de la valorisation de l'enseignement. Or, dans la nouvelle question scolaire, la réussite comme devoir est balayée sous le tapis. Elle renvoie pourtant à la motivation, à l'intérêt, au sens du devoir scolaire.
Sans aborder les multiples aspects de l'évaluation, nous posons, ici, une hypothèse simple selon laquelle il y a une association entre l'intérêt et les résultats scolaires. Le tableau ci-dessous établit cette relation à partir d'une expérimentation dans le cadre du cours Théories modernes en éducation offert à la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université Laval.
TYPOLOGIE DES ÉTUDIANTS SELON L'INTÉRÊT ET LES RÉSULTATS SCOLAIRES (À L'EXCLUSION DES ÉCHECS)
Niveau d'intérêt pour les contenus du cours |
Notes A/B excellent/très bien |
Notes C/D bien/passable |
Total |
Très intéressé/intéressé |
III 29,0 |
IV 40,6 |
48 |
Peu intéressé/très peu intéressé |
I 5,8 |
II 24,6 |
21 |
Total |
24 |
45 |
69 |
Ce tableau est extrait d'un rapport d'évaluation de l'enseignement à la Faculté des sciences de l'éducation, Université Laval, 1990-1995, 67 p., dans lequel sont précisées les conditions de cueillette des données.
Une tentative de caractérisation d'un étudiant type appartenant à chacune des cellules du tableau aboutirait à ces distinctions:
- Le premier type est paradoxal puisqu'il correspond à l'étudiant inintéressé au cours et le réussissant très bien. De deux choses l'une: soit il s'agit d'étudiants "au-dessus de leurs affaires", soit il s'agit d'"erreurs". De toute façon, la situation correspond à un cas rare, équivalant à six pour cent (6 %) de la population étudiée.
- Le deuxième type concerne les étudiants peu intéressés qui ne réussissent pas d'une façon satisfaisante. Ils représentent vingt-cinq pour cent (25 %) de la population étudiée. La cohérence de la situation soulève néanmoins la question des limites de l'intervention pédagogique. Faut-il maximiser une stratégie clientéliste, opportuniste et démagogique comme celle du "warming up" contre bonne conscience, au risque de créer une forme d'inégalité insidieuse qui a pour résultat de ne pas tenir compte des efforts inégalement déployés par chaque étudiant? Il ne s'agit pas là d'un argument élitiste ni d'une forme déguisée de l'innéisme, mais tout simplement de la reconnaissance du fait que les très bons résultats scolaires s'accompagnent toujours d'un travail assidu.
- À l'opposé, le troisième étudiant type représente le modèle idéal qui procure satisfaction à l'étudiant et au professeur: il s'agit de celui qui fait montre d'intérêt à la matière du cours et qui réussit très bien. Il correspond à trente pour cent (30 %) de la clientèle étudiante de ce cours.
- Le quatrième cas de figure constitue le défi pédagogique par excellence: il concerne les étudiants qui montrent de l'intérêt et qui, pour des raisons qu'il faudrait analyser, ne réussissent pas le cours d'une manière satisfaisante. Quarante pour cent (40 %) des étudiants se retrouvent dans cette situation. Il serait possible d'avancer plusieurs hypothèses à cet égard.
Ces résultats ne surprennent pas. Il est néanmoins intéressant de les établir empiriquement. Ils témoignent d'une certaine cohérence.
Sur le plan statistique, ces résultats prennent la forme d'une relation curvilinéaire, ce qui montre encore une fois que la corrélation simple n'est pas toujours d'un bon usage. Sur le plan logique, cette relation prend la forme d'une condition nécessaire et non suffisante: l'intérêt est une condition nécessaire et non suffisante à l'obtention de résultats scolaires très bons ou excellents. Sur le plan pédagogique, ce problème concerne en priorité ceux qui démontrent un intérêt à la matière mais qui ne réussissent pas d'une manière satisfaisante. Cette situation mériterait une analyse plus approfondie.
Critique du pédagogisme
Le pédagogisme pourrait être défini comme la recherche
des conditions de la réussite sans effort: ôtons les examens,
il n'y aura plus ni décrochage, ni échec scolaire.
À ce point, il importe de revenir un instant sur quelques leçons que nous offre la sociologie de l'éducation, pourvu que l'on veuille bien se débarrasser de ces "a priori clandestins" qui minent la discipline. Or, quelles sont les causes de l'inégalité des chances en éducation? Si l'on fait abstraction du discours volontariste et clientéliste, donc simplificateur, voire dogmatique, l'ensemble des travaux sociologiques sur la question établit deux processus essentiels à l'oeuvre dans la génération des inégalités scolaires que sont les relations entre la réussite scolaire et l'origine scolaire d'une part, et l'orientation inégale à réussite égale d'autre part. Il faut insister sur le fait que le deuxième processus a des effets exponentiels alors que le premier processus tend à se dissiper au cours des cheminements scolaires. Quelles conclusions peut-on en tirer sur le plan pédagogique?
Il importe d'établir en premier lieu que la dynamique entre la pédagogie et les inégalités se pose différemment selon le niveau scolaire considéré. Si les réformes pédagogiques (pédagogie compensatoire, conscientisante, de rattrapage, etc.) peuvent avoir un effet réel sur les inégalités scolaires en début du cursus scolaire, leur pertinence et leur efficacité diminuent par la suite puisqu'elles ne visent que le premier des deux processus.
Aux niveaux secondaire et collégial, les logiques de situation qui obligent à des choix irréversibles entre des filières longues et courtes, générales et professionnelles, etc., prennent une valeur stratégique en fonction de l'origine sociale des élèves, si bien que la substitution de choix qui engagent l'avenir par des choix moins contraignants minimiserait les effets sociaux de l'orientation scolaire. Un système de bourses axé sur la réussite scolaire en fonction de l'origine sociale peut contribuer à compenser les coûts pesant sur les élèves de milieux défavorisés.
Au niveau universitaire, une politique d'égalité des chances repose principalement sur le renforcement de la relation entre les cheminements scolaires et les résultats scolaires. Cette conclusion qui est valable pour l'ensemble du système scolaire s'applique encore davantage au niveau universitaire. Toute politique d'égalité passant outre la relation entre les résultats et les cheminements scolaires conduirait à renforcer les inégalités au sens de l'équité.
Le droit de réussir semble avoir supplanté le devoir d'assiduité aux études. Le pédagogisme ne viserait qu'à camoufler ce débalancement. L'institution se doit de garantir la réussite sans effort. Dans cette vision des choses, l'élève est le sujet malade que l'institution scolaire doit soigner. Il y a des causes générales à cet état de fait dont l'analyse sort du cadre restreint de cet article.