20 novembre 1997 |
Les étudiants de la Faculté de droit
assistent à un beau combat de kick-boxing
sur le thème des vices et des vertus du monopole syndical.
Dans le coin gauche: Réjean Breton, professeur à la Faculté de droit et ennemi déclaré du monopole syndicaliste. Dans le coin droit: Roger Valois, vice-président de la CSN et ardent défenseur des droits des travailleurs. Dans un instant, ces deux hommes aux opinions diamétralement opposées vont s'affronter sur la question du syndicalisme dans une salle du pavillon Charles-de Koninck remplie à pleine capacité d'étudiantes et d'étudiants de droit qui s'attendent à voir un bon spectacle, avec de bons acteurs. Et ils ne seront pas déçus, en ce jeudi pluvieux de novembre.
"Le monopole syndical, c'est le contrôle absolu des jobs par les syndicats en place, lance d'entrée de jeu Réjean Breton, très à l'aise dans son tee-shirt et sa chemise en denim. "Actuellement, le SPUL (Syndicat des professeurs et professeures de l'Université Laval) contrôle les jobs des professeurs à l'Université, tandis que la CEQ (Centrale d'enseignement du Québec) fait la même chose avec les professeurs du primaire et du secondaire. Dans ce contexte, n'essayez pas d'avoir un emploi dans le secteur de l'éducation, à moins qu'un de ces profs décide de prendre sa pré-retraite, et ce, à des conditions plus qu'avantageuses. En somme, la démocratie syndicale est le fait d'une minorité en place aux dépens de la majorité. Résultat: l'horizon du marché de l'emploi est bouché à cause de la permanence syndicale."
Le syndicat ou la mort?
"Ce qui fatigue bien du monde, c'est la sécurité d'emploi
obtenue au prix de beaucoup d'efforts, rétorque Roger Valois, en
rajustant sa cravate. Défendre son emploi dans un pays qui n'est
même pas capable d'en créer, est-ce un monopole? Est-ce du
narcissisme? Il est bien fini le temps où, dans une entreprise, le
fils ou la fille du patron décrochait automatiquement un emploi,
du fait de son lien de parenté. La CSN offre aux gens qui le souhaitent
la possibilité de se défendre et de se battre pour améliorer
leurs conditions de travail. Nous ne forçons personne à se
syndiquer."
"C'est totalement faux, réplique Réjean Breton. Au Québec, tous les professeurs sont obligés de faire partie d'un syndicat s'ils veulent garder leur emploi. À l'Université Laval, il n'y a pas un professeur qui ne soit pas syndiqué. Si on m'en donnait les moyens, je renoncerais demain matin à la permanence d'emploi."
Là où le bât blesse, estime Réjean Breton, c'est qu'on tient pour acquis qu'un professeur est toujours compétent, même après 30 ans d'enseignement. À son avis, le seul moyen de remédier à cette situation catastrophique pour les élèves consiste en l'évaluation systématique des enseignants. Ainsi, ceux et celles qui demeureraient à leur poste le seraient en raison de leur propre compétence et non parce que le syndicat leur assure la sécurité d'emploi. "Même dans d'autres domaines que celui de l'éducation, le système du monopole syndicaliste fait en sorte que les travailleurs en place ont tous les droits, qu'ils soient nuls ou médiocres. Quant aux bons, ils sont payés au même salaire que les nuls".
"Si les compagnies embauchent des nuls, ce n'est sûrement pas la faute aux syndicats", fait valoir Roger Valois., qui ne voit pas comment la société actuelle des travailleurs pourrait fonctionner sans syndicats, sans revenir des années en arrière. Quittant le terrain miné du secteur de l'éducation, il prend pour exemple la fonction publique, dont les employés ne peuvent que bénéficier de l'appartenance à un syndicat. "Que penser d'une fonction publique dont le personnel changerait au gré des partis politiques en place?", interroge le vice-président de la CSN. "Actuellement, il n'existe pas de sécurité d'emploi pour les jeunes qui entrent sur le marché du travail. C'est ce que les syndicats veulent offrir. Tout le monde est bien conscient que l'absence de sécurité d'emploi ne fait pas rouler l'économie." "C'est tout à fait cela, conclut Réjean Breton, saisissant l'oiseau au vol. En fait, les syndiqués se disent que si l'économie ne roule pas pour tout le monde, aussi bien qu'elle roule pour eux".