13 novembre 1997 |
En matière d'agression sexuelle, les femmes se retrouvent encore, plus souvent qu'autrement, au banc des accusés.
Malgré toute l'évolution législative obtenue par les femmes en matière d'agression sexuelle, le problème des plaignantes lors des procès reste le même: les intervenants de l'appareil judiciaire ne les croient pas. La Chartre canadienne des droits et libertés, qui devait permettre de reconnaître l'égalité des femmes devant la loi et leur droit à une égale protection de la loi, a permis, au contraire, de menacer ou de nier les acquis des femmes si durement obtenus.
C'est ce que qu'a affirmé Josée Néron, étudiante à la Faculté de droit, lors d'une conférence organisée récemment par la Chaire d'étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes et le GREMF (Groupe de recherche multidisciplinaire féministe). "Une étude exhaustive des cinq premières années de jurisprudence en matière d'égalité révèle que les juges ne sont pas sensibles aux problèmes des femmes et que majoritairement, ce sont les hommes qui se sont servis de la Charte pour défendre leur droit à l'égalité et menacer ainsi les acquis des femmes, trouvant chez les juges une oreille attentive à leur revendications", a souligné Josée Néron, qui a complété un mémoire de maîtrise portant sur l'historique du viol et de l'agression sexuelle au Canada, de 1840 à aujourd'hui.
Pour cette étude, la chercheure a d'ailleurs remporté le Prix 1996 de la Collection Minerve, collection accueillant des ouvrages de très haute qualité dans tous les domaines du droit. Remis à jour pour fins de publication, le mémoire s'intitule L'agression sexuelle et le droit canadien: l'influence de la tradition. Il est publié aux Éditions Yvon Blais.
La petite bête noire
Si en raison de l'évolution sociale, et principalement de l'action
des femmes en faveur de cette évolution, le législateur fédéral
a adopté des valeurs autres que par le passé et cherche maintenant
à protéger les intérêts des femmes victimes d'agression
sexuelle, les tribunaux, eux, prônent les mêmes valeurs et les
mêmes préjugés qu'il y a plus d'un siècle, estime
Josée Néron. Ainsi l'adoption du Code criminel canadien, en
1892, a eu pour effet de protéger davantage les droits des femmes
victimes d'agression sexuelle. "C'était la première fois
qu'il y avait une définition complète du viol. Mais il était
défini dans cette loi que "le viol est un acte commis par un
homme sur une autre femme que son épouse", ce qui assurait l'impunité
du mari. C'était peut-être moderne dans la forme mais pour
les femmes, cela représentait une régression."
Il faudra attendre la réforme législative de 1983, année où la définition de l'infraction de viol disparaît du Code criminel canadien pour être remplacée par celle d'"agression sexuelle". Avant cette date, s'il n'y avait pas eu de pénétration, donc viol, on partait de tentative de viol ou d'attentat à la pudeur. Aujourd'hui, l'agression sexuelle est considérée comme une voie de fait qui, selon le niveau de violence employée sur la victime, peut aller d'une peine maximale d'emprisonnement de dix ans à la prison à perpétuité.
Tous ces changements ne signifient pas pour autant que les droits des femmes sont davantage protégés qu'au siècle dernier, estime Josée Néron. Car bien que les plaignantes ne soient plus obligées d'exposer leur passé sexuel devant le juge ou, encore, d'avoir un témoin pour corroborer les faits, l'idée que la femme "fabule" quand elle affirme avoir été victime d'agression sexuelle perdure encore dans les cours de justice. "Historiquement, tout le poids du procès repose sur les épaules de la plaignante, qui elle, est simplement témoin de la poursuite. Et c'est encore vrai aujourd'hui: on ne croit tout simplement pas les femmes; on cherche toujours la petite bête noire... du côté de la plaignante."
Dans la thèse de doctorat qu'elle prépare présentement, Josée Néron analyse tous les jugements publiés au Canada sur le harcèlement sexuel afin de voir si les stéréotypes propres à ce genre de cause y sont reproduits. Avec en tête, toujours la même question: au Canada, le droit en matière d'agression sexuelle permet-il aux femmes d'obtenir justice?