13 novembre 1997 |
Idées
par Gaston Marcotte, professeur au Département d'éducation physique
"J'ai la désagréable sensation que l'école québécoise ne servira plus dorénavant qu'à christianiser pour l'Église, socialiser pour l'État et instruire pour l'entreprise."
Le Soleil a publié, coup sur coup, deux articles sur la réforme Marois en éducation, titrés "La fin de la récré", de J.-Jacques Samson (3 octobre), et "Fin de la récréation", de Brigitte Breton (4 octobre). Ces deux titres, que les auteurs n'ont probablement pas choisis, sont des généralisations abusives et injustes pour la très grande majorité des dizaines de milliers de Québécois et Québécoises qui oeuvrent dans notre système d'éducation.
Je ne suis pas convaincu que Monsieur Samson et Madame Breton se croiraient en récréation s'ils avaient à éduquer et à instruire pendant 23.5 heures par semaine une trentaine d'adolescentes et d'adolescents turbulents dans des conditions pédagogiques difficiles. Je doute qu'ils s'amuseraient beaucoup face à ces jeunes de capacités très différentes, plus ou moins intéressés à la matière enseignée, parmi lesquels on peut retrouver des élèves avec des déficiences physiques et mentales et même quelquefois des déviants chroniques. Et que dire de ces réunions du personnel, de ces journées pédagogiques et de ces rencontres avec les parents où les enseignants s'amusent comme des petits fous. Et de ces excitantes corrections qui permettent de savoir si tous les élèves ont assimilé les contenus exigés par les programmes gouvernementaux et qui ne cessent d'augmenter et de changer constamment.
Depuis quand est-ce que l'amusement conduit aux dépressions, aux burn-out ? Seule la retraite anticipée est envisagée avec plaisir par un grand nombre d'enseignants. Et qui trouverait cela amusant d'être tenu responsable de tous les maux de la société et de voir sa profession constamment dévalorisée? Pourtant, c'est ce que les enseignants et enseignantes endurent depuis une dizaine d'année.
Nombre de familles démissionnent devant la tâche, supposément devenue trop ardue, d'éduquer un ou deux enfants dans une société aux changements accélérés. Comment peut-on alors s'imaginer qu'un enseignant est en vacances lorsqu'on exige qu'il en éduque et en instruise une trentaine à la fois?
Si l'école québécoise n'est qu'une perpétuelle récréation, pourquoi les élèves la quittent-ils en nombre record avant même d'avoir terminé leur secondaire? Depuis quand est-ce que les élèves détestent la récréation? J'apprécierais également qu'on me démontre, preuves à l'appui, comment l'ajout de quelques heures d'enseignement à l'histoire et aux langues va diminuer le décrochage scolaire qui est devenu un véritable scandale social au Québec.
Ces deux articles donnent l'impression qu'en modifiant le nombre d'heures accordé à certaines matières, les nombreux problèmes de l'école québécoise disparaîtront comme par enchantement. Permettez-moi d'en douter. Ce retour en arrière à une supposée instruction de base qu'on aurait imprudemment délaissée, m'apparaît davantage comme un réaction d'une institution incapable de s'extirper d'une crise qui perdure depuis nombre d'années, qu'une véritable réforme de l'éducation.
Heureusement que François-Olivier Martin, élève au secondaire à l'École Rochebelle de Sainte-Foy, a remis les pendules à l'heure dans sa lettre du 9 octobre à Monsieur Samson, intitulée "Peut-on appeler cela une réforme?". Jusqu'à présent, c'est ce que j'ai lu de plus sensé sur la réforme Marois. Ce jeune de la "fournée gaspillée" selon les mots mêmes de Monsieur Samson, a écrit une lettre pondérée, basée sur des faits concrets et une expérience vécue du milieu qu'il critique. Il reconnaît que la majorité des enseignants qu'il a eus font leur "gros possible" pour lui donner une éducation digne de ce nom, malgré des conditions d'apprentissage qui sont loin d'être idéales. Il se demande, et avec raison, ce qu'il pourrait "débarquer" d'un horaire très chargé et très bien réparti et qui tient compte de ses engagements à l'école et dans la communauté. De plus, il se permet une critique de la réforme Marois qui lui fait honneur ainsi qu'au système qui a contribué à son éducation.
C'est une des rares voix dissidentes qui est autre chose qu'un plaidoyer corporatiste. Il ne croit pas qu'on puisse réformer notre système d'éducation en jonglant seulement avec les chiffres. François-Olivier Martin aurait-il raison lorsqu'il affirme que "pour que l'on puisse appeler ça une réforme, il faudrait changer tout le système"? Est-ce vrai que nous ne sommes pas prêts à sacrifier certains de nos privilèges (je pense ici à l'Église et aux syndicats) pour former sa génération comme il le laisse entendre? Son questionnement mérite réflexion.
Comme François-Olivier, j'estime que le système québécois d'éducation est loin d'être parfait et qu'il souffre de lacunes fondamentales qu'il faudra un jour combler. Comme lui, j'estime que jongler avec les heures consacrées à telle ou telle matière n'est pas le remède miracle auquel certains veulent nous faire croire. Ce serait trop facile et c'est d'ailleurs ce qu'on a fait par le passé avec les résultats que l'on connaît.
Personnellement, suite aux États généraux sur l'éducation et au Rapport du Groupe de travail sur la réforme de curriculum, j'ai cette désagréable sensation que l'école québécoise ne servira plus dorénavant qu'à christianiser pour l'Église, socialiser pour l'État et instruire pour l'entreprise. Je suis loin d'être rassuré que c'est de cette façon qu'on éduquera le type de personnes dont la société québécoise a un urgent besoin.