6 novembre 1997 |
Les victimes d'inceste brisent le silence quand elles n'en peuvent plus de se taire.
"J'étais tannée et j'étais prête à mourir, je ne pouvais plus vivre ça. J'ai dit à ma mère: même s'il me tue, ça ne me dérange pas, je suis plus capable de vivre ça. Il est supposé me tirer à la carabine et ça ne me dérange pas, je suis prête à mourir. J'ai dit: ça fait depuis huit ans que j'endure ça et je suis plus capable."
Tiré d'une étude de Sylvain Cyr, du Centre Jeunesse Gaspésie/Les Iles, ce témoignage provenant d'une victime d'inceste illustre bien la situation étouffante vécue par la victime au moment du dévoilement de l'inceste. En fait, la détresse émotive constitue un facteur-clé dans la décision de "lever le rideau" sur un secret devenu trop lourd à porter, conclut Sylvain Cyr, dans son mémoire de maîtrise effectué sous la supervision de Germain Trottier, de l'École de service social.
Pour les fins de son étude, Sylvain Cyr a interrogé sept femmes dont l'âge varie entre 18 et 52 ans, résidant sur le territoire de la Municipalité régionale de comté Denis-Riverin en Gaspésie. Si pour l'une des victimes, l'abuseur était le concubin de la mère, il s'agissait du père dans les six autres cas. Dans la majorité des cas, le premier abus est survenu entre l'âge de 1 an et 13 ans. L'âge du dévoilement se situe pour sa part entre 8 et 31 ans. Quatre femmes ont dévoilé leur secret à un membre de la famille immédiate (mère ou fratrie), tandis que les trois autres se sont respectivement confiées à une tante, une amie et enfin, à la police. En confiant leur problème à une personne en qui elles avaient expressément confiance, ces femmes souhaitaient non seulement faire cesser la relation incestueuse mais aussi protéger d'autres personnes d'un éventuel abus. D'autres facteurs comme la possibilité d'une grossesse ou une querelle survenue avec l'abuseur ont incité les victimes à livrer leur secret.
Une position d'autorité
Dans cette étude, cinq participantes ont spontanément dit
avoir fait plus d'un dévoilement, ce qui constitue un résultat
à la fois surprenant et inquiétant pour un si petit échantillon,
estime Sylvain Cyr. Cette "revictimisation" après un premier
dévoilement pourrait s'expliquer en partie par le fait que la personne
recueillant la douloureuse confidence ne possède pas les capacités
nécessaires pour aider efficacement l'enfant. Par ailleurs, un signalement
d'abus sexuel non retenu par la Direction de la Protection de la jeunesse
ne signifie pas que l'enfant n'a pas été victime d'abus sexuel.
Or, cette non-intervention favorise grandement le risque que la personne
subisse à nouveau l'inceste.
"En somme, il n'est jamais étonnant qu'un grand nombre de personnes ne dévoilent jamais le secret de l'inceste, conclut Sylvain Cyr. Quand un enfant âgé entre 12 et 15 ans réussit à le faire, il s'agit d'un exploit au sens où il a été en mesure de franchir des obstacles apparemment infranchissables. Rappelons que pendant toutes ces étapes qui s'échelonnent sur plusieurs années, l'enfant est laissé à lui-même, habité par une importante souffrance émotive et manipulé par un adulte en position d'autorité."