16 octobre 1997 |
Idées
PAR GABRIELLE GOURDEAU, PHD
ENSEIGNANTE À LA FACULTÉ DES LETTRES
"Enseigner des fautes d'orthographe
neuf heures par semaine au lieu de sept,
ça ne fait pas des enfants forts"
On a beaucoup parlé des enfants de Duplessis, notre massacre des saints innocents à nous. Toutefois, ces enfants-là ne furent pas les seuls à être immolés sur l'autel des générations perdues si l'on songe aux enfants du rapport Parent. C'est la réforme scolaire annoncée tout récemment par madame la Ministre Pauline Marois qui me fait plus particulièrement penser à ces quelque trois générations d'enfants "massacrés", eux aussi, à leur façon, et qui risquent de transmettre le fruit empoisonné de leur relative ignorance aux tout-petits dans les années qui viennent.
La réforme Marois, devant être accomplie aux alentours de 2002 ou 2003, comporte plusieurs promesses dont on aurait toutes les raisons de se réjouir. Par contre, cette réforme a de quoi laisser songeur quand on pense aux tout petits qui en sont les bénéficiaires-cibles, car leurs enseignants seront ces enfants du rapport Parent, ceux des baby-boomers, qui ont appris leur français en rotant des consonnes, qui ont appris à compter sur leurs doigts ou à l'aide de leurs indispensables pitonneuses, qui confondent Samuel Champlain, Jean Talon et le père Bigot et qui, souvent, ne peuvent pas, même en troisième année de baccalauréat, structurer leur pensée, ne serait-ce que le temps d'une dissertation de cinq ou six pages.
Dehors, les chevronnés
C'est pour laisser la place à ces jeunes-là, frais émoulus
de quelque BES (Baccalauléat en enseignement au secondaire) ou de
quelque BEP (baccalauréat en enseignement au primaire) que le gouvernement
actuel, récemment tout fier d'annoncer la "création"
de X milliers d'emplois en éducation, évacuait de plusieurs
établissements scolaires des enseignants chevronnés (lire:
formés à la bonne école d'avant le rapport Parent,
où, écoles publiques et privées confondues, on pouvait
recevoir au Québec une instruction solide) et ce, de façon
peu reluisante, c'est-à-dire en les "écoeurant"
(lire: en surchargeant les groupes-classes, en édulcorant les programmes
jusqu'à l'insignifiance, etc.).
C'est bien beau, augmenter le nombre d'heures-français, d'heures-mathématiques et d'heures-histoire dans les programmes du primaire et du secondaire, mais enseigner des fautes d'orthographe neuf heures par semaine au lieu de sept, ça ne fait pas des enfants forts. C'est bien beau, vouloir corriger les fautes de français dans les textes de toutes les matières, mais quel jeune enseignant en géographie ou en mathématiques peut se vanter de pouvoir le faire si on n'a jamais corrigé les siennes because le contexte dans lequel il a étudié invitait tout le monde au laxisme?
Les fruits de l'errance
J'ai bien peur que nous nous soyons acculés nous-mêmes à
une impasse en instaurant et en mettant en pratique, pendant trente ans,
un programme d'enseignement caractérisé par l'errance (l'éducation
" à la carte" à laquelle avaient droit nos jeunes
jusqu'à maintenant, la libre expression du "moi" dans les
cours de français où l'acquisition des outils d'expression
nécessaires pour ce faire passaient au dernier rang), par la facilité
(surtout, ne pas trop faire forcer les jeunes cerveaux, et place au VÉCU)
et par une valorisation- qui frise le culte- de l'ignorance-crasse (avant,
c'étaient les doubleurs qui se faisaient pointer du doigt; aujourd'hui,
on asticote les bolés dans les cours de récré). Et
puis, il y eut aussi les gens du clergé, qui avaient leurs travers,
certes, mais qui ne donnaient pas leur place quand venait le temps de nous
faire entrer les règles de grammaire ou les dates historiques dans
la caboche. Ceux-là aussi, on les a virés, comme on vient
de virer, de façon plus sournoise, des milliers d'enseignants encore
capables, pourtant, de donner bien d'autres belles années à
nos écoliers.
C'aurait été cela, Madame Marois, la solution à notre problème en éducation: ne pas pousser les enseignants sortants vers la porte en les "usant" à la corde, leur laisser le temps de bien jeter les bases de votre réforme, qui a du bon... sur papier. Imaginez. Un professeur expérimenté qui dispose d'un bon outil de travail, de groupes-classes viables, du temps et de l'énergie nécessaires pour bien "démarrer" la prochaine génération de Québécois. Mais non. Il fallait faire de la place, n'est-ce pas, pour la génération des 25-30 ans, qui stagnait dans l'antichambre de l'emploi. Sure. Il vous fallait surtout, je crois, réaliser les profits nécessaires à la réparation des dégâts causés par trente ans d'ineptie post-soixante-huitarde. Entre-temps, les 25-30 ans accaparent tout ce qu'il y a de postes en enseignement primaire et secondaire. Et ils sont là pour y rester longtemps. Assez longtemps pour que les tout-petits d'aujourd'hui risquent de stagner encore bien plus longtemps qu'eux dans l'antichambre de l'emploi dans vingt ans.
Désolante circularité: vous ne faites donc, ici, que déporter dans le temps la situation actuelle. Ça sert à quoi sauf votre respect? Si j'étais une jeune enfant et que je comprisse le moindrement ce qui m'attend à l'âge où on se trouve un emploi, j'en brâillerais àn' shot, comme dirait le bonhomme D'or dont la parole est parfois d'argent. Mais, Dieu merci, j'ai l'âge de l'avoir échappée belle quand Parent et cie ont fait leurs ravages dans le paysage éducationnel québécois.
Malgré vos bonnes intentions, votre réforme sera vaine, Madame Marois, et le serpent va continuer de se mordre la queue. Car l'ignorance, vous l'avez peut-être malheureusement oublié, est une maladie transmissible textuellement.