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16 octobre 1997 ![]() |
L'ORDRE DES INGÉNIEURS
S'ÉLOIGNE-T-IL DE SA MISSION PREMIÈRE ?
L'existence de l'Ordre des ingénieurs du Québec est fondée sur les deux principes suivants: s'assurer que le droit de pratique en ingénierie est restreint aux seuls membres en règle de l'Ordre et protéger le public. Ces deux points fondamentaux sont si intimement liés que l'on peut parler d'une seule mission fondamentale de l'Ordre: protéger le public.
Cependant, quelques faits sont apparus au cours des dernières années, me laissant perplexe face à cette mission première de l'OIQ. J'en citerai trois: la diversité des actions entreprises par l'Ordre; l'obligation des professeurs en génie d'être membre de l'Ordre, et un article de Mme E. Émond, intitulé "Formation: l'urgence d'une alliance", publié dans le numéro août-septembre de la revue Plan . Ce sont ces trois points qui m'ont incité à prendre le temps d'écrire cette lettre.
On a remarqué, au cours des dernières années, une intervention de plus en plus marquée de l'OIQ dans plusieurs dossiers. Certaines de ces interventions vont dans le sens de la mission première de l'Ordre. D'autres vont dans un sens que je qualifierai de défense des intérêts des ingénieurs. D'autres actions sont de nature mixte: protection du public et action économique. Dans ce dernier cas, on n'a qu'à songer aux interventions de l'OIQ et plus particulièrement de l'ancien président, M. Lamarre, auprès des PME afin de leurs démontrer l'avantage technologique d'inclure un ingénieur dans leur équipe. Par le fait même, cette action ne peut qu'augmenter la protection du public car, au-delà du fait qu'une entreprise embauche un ingénieur, ce dernier, de part son appartenance à l'Ordre, est régi par un code de déontologie et ses actions sont légalement encadrées.
Cependant, étant donné que l'Ordre offre des services et promeut la défense des intérêts des ingénieurs, ces deux actions interfèrent fortement avec sa mission première. À la limite, on pourrait en venir à dire, comme beaucoup de Québécois le pensent à l'égard de certaines corporations, que l'Ordre existe dans le seul intérêt des ingénieurs. Ne devons nous pas songer à dissocier la notion de corporation régie par une loi provinciale de celle d'une association d'ingénieurs pouvant promouvoir la profession et offrir des services ?
Étant membre du corps professoral du Département de génie civil de l'Université Laval, j'ai reçu une note du directeur nous faisant part de cette décision prise par le BCAPI qui stipule que pour enseigner en génie il faut être membre de l'Ordre. Je ne sais d'où vient cette idée saugrenue qu'en étant membre d'une corporation, les professeurs en génie donneront une formation de qualité à leurs élèves ingénieurs! Cette tendance est tout à fait contraire à la philosophie que plusieurs grands organismes et grandes entreprises tentent de mettre en place: pour être compétitif et pour donner une bonne formation, il faut agir de façon à maximiser l'interdisciplinarité. Il ne faut surtout pas limiter la vision de nos futurs ingénieurs au seul champ de l'ingénierie.
Il y aura sûrement des gens qui nous diront que pour former des ingénieurs dans des situations de conception, nous devons avoir des professeurs ingénieurs. Certes, cette assertion est fondée. Mais le fait qu'un professeur soit membre de l'Ordre garantit-il la qualité de la formation ? J'ai des doutes quant à la validité de cette hypothèse.
Finalement, l'article de la revue Plan rapporte les propos suivants de M. Stéphenne: "La préoccupation de l'Ordre pour la formation de base des membres n'est pas nouvelle. Elle prend racine dans le mandat même que l'État nous a donné et qui consiste à veiller à la qualité de la pratique professionnelle en matière de génie". Cette interprétation du mandat de l'Ordre est, à mon avis, ambiguë.
Rappelons que l'OIQ existe parce que le Québec s'est donné comme outil pour protéger du public, un cadre légal qui restreint le droit de pratique de toute personne qui n'est pas membre de l'OIQ. Au Canada, les ordres des ingénieurs des provinces se sont donné un mode de fonctionnement qui permet d'admettre comme membre, sans examen technique, un diplômé d'un programme accrédité par le BCAPI. Cependant, rien n'empêche une personne ayant un diplôme dans un programme non accrédité de demander une admission à un ordre. Comme il se doit, celui-ci peut imposer des examens d'admission, s'il le juge à propos, avant de donner un droit de pratique afin de protéger le public; c'est sa mission de base.
La mission des universités québécoises et des facultés de sciences pures et/ou appliquées est de donner une formation théorique solide et rigoureuse à nos élèves ingénieurs. Par la suite, l'Ordre limite les actes que peut poser un jeune ingénieur et favorise la poursuite de la formation du point de vue pratique, par un encadrement de ces stagiaires par un ingénieur ou des ingénieurs d'expérience.
Les universités ont la mission de s'assurer de la qualité des diplômes décernés. À titre d'exemple, l'Université Laval s'est donné comme mandat de réévaluer périodiquement tous les programmes de formation, incluant ceux de génie, afin de s'assurer de la pertinence et de la qualité des programmes offerts. Avons-nous besoin d'un autre niveau de contrôle en génie, en plus de ceux des universités et du BCAPI ? C'est ce que laisse présager l'article de la revue Plan.
Laissons les universités donner une formation axée sur l'aspect théorique, formation qui peut s'acquérir de façon optimale dans un cadre universitaire. Laissons à l'Ordre la mission de s'assurer que les jeunes ingénieurs peuvent poursuivre leur formation pratique encadrés par des ingénieurs d'expérience.
L'Ordre des ingénieurs du Québec a une mission qui consiste à protéger le public. Dans ce sens, l'Ordre doit être prudent dans ses actions visant la promotion de la profession et l'offre de services. Ces actions sont parfois contradictoires avec sa mission.
Cette mission de protection du public doit strictement se limiter à la formation post-universitaire des ingénieurs. L'Ordre doit s'assurer que les jeunes ingénieurs soient bien encadrés pour poursuivre leur formation pratique et que, tout au long de leur carrière, les ingénieurs renouvellent leurs connaissances régulièrement. C'est là que se situe la mission de l'Ordre, en aval de la formation universitaire et non en amont de la pratique du génie.
AU SUJET DES AGENCES DE VOYAGES AUTORISÉES
Du 2 au 5 octobre dernier, j'ai participé a un congrès scientifique en Nouvelle-Écosse. J'ai acheté mon billet chez l'une des quatre agences de voyage autorisées par l'Université. Or quelle ne fut pas ma surprise, une fois rendu là-bas, de constater qu'alors que j'avais dû payer 680 $ pour mon billet Québec-Halifax, des gens qui avaient voyagé par la même compagnie
que moi (Air Canada) et acheté leur billet à peu près au même moment n'avaient dû payer que 530 $ pour le trajet Vancouver-Halifax, 350 $ pour Toronto-Halifax, et moins de 300 $ pour Montréal-Halifax. Je me pose donc de sérieuses questions sur les tarifs pratiqués par ces agences autorisées.
De là à penser que ces agences versent a l'Université ou a certains de ses administrateurs une ristourne sur les montants exagérés qu'elles chargent, il n'y a qu'un pas...que je ne franchirai pas, connaissant bien sur l'honnêteté proverbiale de nos administrations universitaires. Je ne peux tout de même pas m'empêcher de songer qu'avec les montants épargnés en m'adressant a d'autres agences, non-autorisées mais pratiquant des tarifs moins prohibitifs, je pourrais en un an engager deux ou trois assistant/es de recherche supplémentaires, fournissant ainsi du travail et de l'expérience a des étudiant/es qui en ont souvent bien besoin.