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16 octobre 1997 ![]() |
L'exode des cerveaux, mythe ou réalité? Quoi qu'il en soit, Marc-André Sirard propose une solution originale pour garder ici les chercheurs prometteurs.
D'un point de vue purement statistique, l'exode des cerveaux est un mythe puisqu'en nombre absolu, le Canada accueille plus de "cerveaux" qu'il en exporte vers les autres pays. Mais les universités perdent tout de même un certain nombre de vedettes de la recherche de même que de jeunes chercheurs prometteurs au profit d'autres pays. Voilà la conclusion pour le moins déroutante d'un colloque intitulé "Exode et accueil des cerveaux: attirer et retenir du personnel hautement qualifié", présenté les 7 et 8 octobre à Québec par l'Association des universités et des collèges du Canada (AUCC).
À l'origine de ce colloque, deux mythes tenaces: le Canada perd des professionnels hautement qualifiés au profit des États-Unis et la fuite des cerveaux touche surtout des domaines stratégiques pour l'économie canadienne. Pendant près d'une heure, Ivan Fellegi, statisticien en chef à Statistique Canada, s'est attaqué à ces mythes à coups de rafales de chiffres. Il y a effectivement plusieurs diplômés universitaires qui émigrent aux États-Unis chaque année, a-t-il démontré, de sorte que la balance de cerveaux avec notre voisin du sud est déficitaire. De 1986 à 1996, l'émigration nette des cerveaux canadiens vers les États-Unis a fluctué entre 4 000 et 5 000 personnes par année. Nous perdons l'équivalent de 4 % des nouveaux diplômes en génie, 3 % en informatique, mathématiques et sciences naturelles, 14 % en médecine et 24 % en sciences infirmières. Du côté des sciences de l'administration, on parle d'une perte nette de 2000 personnes par année.
Mais les immigrants en provenance de pays autres que les États-Unis viennent chambouler le portrait. Entre 1986 et 1996, le nombre de travailleurs spécialisés arrivés au Canada est passé de 9 000 à 45 000 par année. La plupart de ces personnes, qui proviennent surtout d'Europe de l'est et d'Asie, ont trouvé du travail dans leur spécialité. Environ 20 % d'entre eux arrivent maintenant avec une scolarité de baccalauréat ou plus, soit deux fois plus qu'il y a dix ans. "Je ne dis pas qu'il faut relaxer mais je dis qu'il n'y a pas de crise", a conclu le statisticien.
Exode universitaire
Les universités canadiennes sont au prise avec un autre type d'exode,
a soulevé pour sa part le recteur de l'Université de Waterloo,
James Downey, en livrant les conclusions d'une étude commandée
par l'AUCC. Au cours des deux dernières années, les universités
ont perdu 1350 (7 %) de leurs professeurs, dont près de la moitié
en raison de départs anticipés à la retraite occasionnés
par la situation économique difficile. Environ 350 professeurs ont
accepté un emploi dans une université hors Canada ou dans
une entreprise privée. Seulement la moitié de ces 1 350 postes
vacants ont été remplacés. "Ce ne sont pas des
chiffres très élevés mais les personnes qui ont quitté
étaient souvent des chercheurs seniors, des leaders, dont le départ
peut affecter sérieusement un centre de recherche ou un département",
a souligné le recteur Downey.
Les motifs de départ les plus souvent invoqués incluent le salaire, la charge d'enseignement trop lourde, le manque de ressources et le financement de la recherche. L'AUCC conclut que pour attirer et conserver des vedettes dans les universités canadiennes, il faudra accroître les fonds alloués à la recherche et augmenter le salaire des professeurs à un niveau plus concurrentiel.
Parrainer les cerveaux
Marc-André Sirard, professeur au Département des sciences
animales et directeur du Groupe de recherche en biologie de la reproduction,
croit qu'on fait fausse route en essayant d'attirer des chercheurs prestigieux
dans les universités canadiennes. "Nous n'avons pas les moyens
d'attirer des vedettes parce que nous ne sommes pas compétitifs sur
le plan des conditions d'emploi et du financement de la recherche. Mieux
vaut former de jeunes chercheurs prometteurs et espérer qu'ils restent
par attachement. Actuellement, le problème est que nous formons de
bons chercheurs au doctorat et au post-doc mais il n'y a pas de postes pour
eux."
Afin d'éviter le départ des jeunes chercheurs prometteurs vers l'étranger, il faut leur offrir des conditions de démarrage plus intéressantes, poursuit-il. Les subventions gouvernementales et les contrats permettent de financer les travaux de recherche mais pas les salaires. Pour payer les jeunes chercheurs et leur permettre éventuellement d'obtenir un poste universitaire, Marc-André Sirard propose un "programme de parrainage des cerveaux", financé par les caisses de retraite. "Le ministre des Finances pourrait demander que 1 % des investissements des caisses de retraite se fasse dans ce programme. Le fonds paierait le salaire des chercheurs prometteurs et les universités qui les accueillent fourniraient l'infrastructure de recherche." Les profits obtenus grâce aux licences et aux brevets résultant des travaux du chercheur seraient partagés entre l'investisseur et l'université hôte.
L'idée a été accueillie avec enthousiasme par les membres de l'AUCC qui n'avaient jusque-là entendu parler que de compressions budgétaires. L'AUCC envisage de présenter le programme de parrainage des cerveaux devant le Comité des finances du gouvernement fédéral qui tient ses audiences en novembre à Ottawa.