9 octobre 1997 |
Qajartalik, un site rupestre inuit, doit être préservé de la dégradation.
Lorsque Louis Gagnon et Daniel Arsenault ont posé pour la première fois le pied sur l'île de Qikirtaaluk, battue par les vents, au Nord du Nouveau-Québec, ils ne se doutaient peut-être pas de l'ampleur des dégradations subies par ce site rupestre unique. À l'invitation de l'Institut culturel inuit Avataq, les deux chercheurs en histoire de l'art à l'Université Laval réfléchissent aujourd'hui aux mesures appropriées pour conserver dans leur environnement cet ensemble exceptionnel de gravures sur pierre.
Si la première mise à jour du site de Qajartalik date de 1961, date à laquelle un anthropologue de l'Université Laval, Bernard Saladin d'Anglure, répertorie plus de 44 figures gravées dans un affleurement rocheux, il aura fallu attendre 1996 pour qu'une étude exhaustive scientifique ne démarre vraiment. Mais entre-temps, la petite île a vu défiler de nombreux visiteurs qui, malheureusement, ont souvent ont laissé leur marque: des artistes des régions voisines n'ont pas hésité à prélever sur place des morceaux de stéatite, la pierre à savon utilisée pour la sculpture contemporaine inuit; des touristes en croisière sur la Baie d'Hudson ont dégradé les gravures en voulant les recopier; des graffitis proclamant "l'amour de Jésus" ont même barbouillé les gravures..
"Le caractère exceptionnel de ce site pourrait permettre son intégration au patrimoine mondial de l'Unesco, fait remarquer Louis Gagnon. Pour l'instant, il n'existe nulle part ailleurs au Nouveau-Québec, d'autres endroits où l'on retrouve autant de figures gravées." À chaque visite aux deux rochers qui servent de support aux gravures, les deux chercheurs ont découvert de nouvelles traces laissées par les Inuit il y a 800 ou 1 000 ans. Au gré des changements de lumière, certaines gravures apparaissent ou disparaissent, selon la période de la journée. Certaines ne sont ainsi visibles que quelques minutes au coucher du soleil, d'autres à l'aube.
Un art millénaire
D'après les derniers relevés, les rochers abritent 125 gravures
de visages, de cinq types différents, ronds, triangulaires, carrés,
ovales ou en forme de poire. Même si les analyses d'échantillons
soumis au test du carbone 14 n'ont pas encore donné de résultats
probants, les deux chercheurs soulignent une certaine parenté de
style entre les gravures de Qajartalik et des représentations de
visages ou de masques retrouvés sur des amulettes inuit vieilles
de 1 000 ans. Ils ignorent tout, par contre, des motifs qui ont pu pousser
les Inuit à graver ces rochers. "Nous avons découvert
en surplomb une plate-forme au sol aménagée avec quelques
dalles plates, protégée par un rocher, qui domine le site,
remarque Daniel Arsenault. Peut-être cela pourrait indiquer que des
cérémonies religieuses se déroulaient à cet
endroit et que les gravures en sont une manifestation."
Les deux historiens ont bien l'intention de pousser leurs recherches plus avant, dans les années qui viennent, même si l'accès au site n'a rien d'aisé. Lors des deux dernières expéditions, ils ont séjourné pendant deux semaines sur la petite île, accompagnés d'un chasseur inuit du village voisin chargé de les fournir en viande fraîche de caribou, et de veiller à ce que les ours polaires ne s'intéressent pas de trop près à l'archéologie. "Sur l'île, nous campons à proximité des points d'eau et d'un endroit où notre canot ne pourra pas être emporté par les fortes marées, précise Louis Gagnon. Cette année, nous devions donc parcourir chaque matin deux kilomètres sur des rochers très glissants avant de nous rendre au site."
Soutenu par l'Institut de culture Inuit Avataq, le projet de recherche comprend aussi un volet éducation et formation. Il s'agit notamment d'initier les jeunes inuits à l'archéologie nordique, et surtout de sensibiliser la population locale à l'importance de ce patrimoine culturel. Les sculpteurs, en constante recherche de gisement de stéatite pour réaliser leurs oeuvres, doivent en effet prendre conscience de la valeur des gravures découvertes à Qajartalik pour respecter ces affleurement rocheux riches en pierre à savon. Et seule la municipalité du petit village voisin de Kangiqsujuak a les moyens de protéger la petite île de la curiosité un peu trop envahissante des touristes venus du Sud et épris d'archéologie.