Idées
par Réjean Breton, professeur à la Faculté de droit
La charge des brigades syndicales sera victorieuse car les règles du Code du travail empêchent maintenant les municipalités de prendre les décisions qui s'imposent dans l'intérêt de tous les citoyens
Les syndicats du monde municipal sont scandalisés: pas question qu'on touche aux salaires et aux conditions de travail des employés. Qu'ils aient déjà les meilleures conditions qui soient et qu'ils gagnent au moins 25 % de plus que les fonctionnaires provinciaux n'y change rien; on ne touche pas à leurs acquis.
Les syndicats sont tellement révoltés qu'ils nous proposent un autre "chaos social" si le gouvernement ne leur obéit pas. Les syndicats exigent de négocier localement, en isolant chacune des municipalités. Autrement dit, il faudrait que chacun de ces employeurs publics se retrouve seul devant ses syndiqués; d'un côté de la table des élus locaux plus ou moins familiers avec le jeu tordu des relations de travail et de l'autre, une armée de professionnels de la négociation, télécommandée par l'énorme machine des centrales syndicales.
Cette brigade syndicale a l'expérience de plusieurs centaines de négociations; ces gens travaillent à temps plein dans l'univers des conditions de travail. Ce sont des permanents des tables de négociation. Ils ne vivent que pour ça. Les élus municipaux n'ont évidemment pas cette "expertise" des négociations qui n'en finissent jamais. Leur travail, c'est de gérer la ville, et les conditions de travail ne sont qu'une partie de leurs responsabilités. Les professionnels syndicaux, eux, ne vivent que de ça.
Les municipalités devront embaucher des avocats et des conseillers en relations de travail. Elles devront également libérer des représentants qui iront affronter l'appareil syndical au lieu de travailler à autre chose. Ce processus, long et coûteux pour les municipalités, est une partie de plaisir pour le syndicat. Mieux: c'est du gâteau pour ces adeptes de la négociation, toujours les premiers assis à la table pour discuter. Les centrales disposent de ressources plus que suffisantes pour tenir le siège pendant des semaines et des mois: c'est là que va l'argent des cotisations syndicales...
Même avec toute l'aide imaginable, les municipalités ne pourront rien faire, rien décider si les syndicats refusent de céder. L'article 59 du Code du travail, modifié il y a quelques années, enlève toute capacité de décision à l'employeur: il empêche les élus municipaux, quand un accord est impossible, de prendre les décisions qui s'imposent dans l'intérêt de tous les citoyens.
Cet article 59 empêche les municipalités de revenir sur des concessions trop généreuses faites aux syndicats lors de négociations antérieures; pas question que les responsables municipaux, après un festival de négociations stériles, puissent décider des modifications à apporter aux conditions de travail devenues trop confortables. L'article 59 donne aux syndicats les pleins pouvoirs sur le coût des conditions de travail municipales.
Si les syndiqués refusent de renoncer à leurs privilèges trop coûteux, les villes ne peuvent rien faire et ce , même si elles ont l'appui d'une forte majorité de leur population. Le Code du travail accorde un droit de veto aux syndicats qui refusent de revenir sur leurs vieux acquis, et les syndicats le savent trop bien. C'est pour cette raison qu'ils exigent des négociations locales, où chaque ville sera isolée: ils savent qu'ils en contrôlent totalement le résultat. Dans le cadre actuel du Code du travail, les villes sont obligées de se présenter à la table de négociation en position de faiblesse, puisque leur pouvoir de gestion a été vidé de son contenu.
Le Code du travail a été mis en place, dans la première moitié de ce siècle, pour rééquilibrer le rapport de force entre les travailleurs et le pouvoir de direction de l'employeur. C'était l'employeur qui dirigeait seul, souvent de façon arbitraire, sans trop tenir compte de ses employés. Le syndicat, lui, était en demande: il revendiquait de meilleures conditions de travail pour les employés, mal organisés pour se défendre. Le syndicat était en demande: il voulait limiter, aménager le pouvoir de direction de l'employeur.
Aujourd'hui, c'est l'employeur - surtout dans le secteur public - qui est en demande. C'est lui qui demande à son syndicat de bien vouloir revenir à des conditions de travail plus raisonnables. L'employeur public espère retrouver un peu de son pouvoir de direction, disparu dans des conventions collectives blindées, en quêtant des concessions au syndicat, à celui qui dirige maintenant. C'est le monde à l'envers; c'est la municipalité (représentante de l'ensemble de la population) qui implore son syndicat (représentant de quelques centaines d'employés) d'accepter des ajustements à la baisse pour permettre aux citoyens, ceux qui paient, de souffler un peu.
A l'époque où c'était l'employeur qui dirigeait, le Code du travail était régulièrement amendé pour aider le syndicat. Maintenant que les syndicats disposent d'un droit de veto à l'encontre des municipalités, le gouvernement refuse de corriger cette situation qui laisse les villes sans pouvoir de négociation et sans pouvoir de direction. Tout ce que les syndicats ont à faire, c'est d'exercer ce droit de veto pour maintenir les privilèges des employés municipaux. Leur position est facile à tenir: ne pas bouger, en attendant que le gouvernement cède - encore - et que l'opinion publique passe à autre chose.
Avant, c'était l'employeur qui avait le dernier mot quand les négociations ne menaient à rien. Mais depuis le changement à l'article 59 du Code du travail, c'est le syndicat qui prend la décision finale. À moins de vouloir goûter au "chaos social", il faudra se résoudre à vivre selon la volonté syndicale.
Les règles du Code du travail privent les villes de leur pouvoir de décision. Rien d'étonnant à ce que les salaires et les conditions de travail des syndiqués municipaux soient complètement déconnectés de la réalité.