2 octobre 1997 |
Chantal Masson-Bourque et Luis Sarobe prennent à bras le corps, mais avec justesse, deux sonates tardives du grand compositeur.
Si vous aimez le troisième B de l'alphabet allemand de la musique classique (après Bach et Beethoven), courez acheter la plus récente parution sur disque compact de ses ultimes oeuvres de musique de chambre, les Sonates op. 120 no 1 et no 2, dans leur version pour alto et piano, prises à bras le corps par Chantal Masson-Bourque et Luis Sarobe.
L'altiste et le pianiste aiment à ce point Johannes B. qu'ils ont même eu l'heureuse idée d'inviter, en ouverture de programme, l'ami qui lui est demeuré le plus fidèle - au gré des vents et des marées -, le violoniste Joseph Joachim. Virtuose reconnu en son temps, compositeur peu prolixe, donc relégué dans les sombres recoins de l'oubli, Joachim a légué à la postérité, entre autres, de prenantes complaintes qui se sont rarement hissées jusqu'au studio d'enregistrement, les Trois mélodies hébraïques.
Quant à l'imposant Brahms, sa stature, son statut, sa statue au panthéon des génies et la popularité écrasante de quelques-uns de ses "tubes" n'auront en aucun cas réussi à occulter une riche veine de poésie solfiée pour l'intimité chambriste, que l'on ne se lasse jamais de redécouvrir au fil du dépoussiérage discographique des artistes de bonne volonté qui les remettent au goût du jour.
Certes, Chantal Masson-Bourque et Luis Sarobe ne fréquentent pas les ligues majeures de la notoriété. On sait que les mélomanes attendent beaucoup de certaines rencontres titanesques au firmament des égos constellés, qui ont parfois le don, malheureusement, d'accoucher de "naines blanches" (entendre "blafardes"). Le volumineux catalogue de l'industrie du disque est jalonné de ces déceptions que des "mariages organisés" entre têtes d'affiche ont engendré à chaque époque.
Nous sommes loin ici du vedettariat stérile qui relègue l'oeuvre au second plan, ou de toute démonstration de talent bavard qui frise l'exhibitionnisme. Chantal Masson-Bourque, professeure à la Faculté de musique de l'Université Laval, et Luis Sarobe, professeur au Conservatoire de Rimouski, nous font savourer, pour leur part, "juste du vrai, juste du frais", comme le proclamait jadis l'annonce publicitaire d'une chaîne de restaurants.
Car le duo de pédagogues restaure précisément le ton juste de ces tardives pages brahmsiennes en les animant de ce souffle vital - autre que celui de la clarinette originelle - qui nous transporte dans le for intérieur d'un romantisme nordique regardant arriver puis disparaître les couleurs de l'automne. Nous pénétrons ainsi discrètement, mesure après mesure, dans l'intimité des deux sonates de l'opus 120, à travers l'âme sensible de la teneuse d'archet et la complicité bienveillante du toucheur de clavier recréant devant nous le paysage émotionnel que le compositeur a tissé sur le canevas des lignes mélodiques à portée de coeur: tantôt élans, emportement, frisson puis douceur, confidence, chuchotement, joie allègre de la sublime Sonate no 1, tantôt chaleur, mouvance et "émouvance", lyrisme de passion en apaisement de la seconde.
Chantal Masson-Bourque et Luis Sarobe ont admirablement bien servi le propos confident de Johannes Brahms, et celui de Joseph Joachim: la tendresse de leur épanchement et l'effacement de leur engagement auront contribué, dans chaque cas, à grandir et l'oeuvre et le compositeur. La plus grande beauté (de l'interprétation) n'est-elle pas celle de la simplicité, de l'humilité du geste?
Le disque de Chantal Masson-Bourque et Luis Sarobe (Brahms: Sonates op. 120 no 1 et no2 et Joachim: Trois mélodies hébraïques, Disques Atma ALCD 2 1001) est en vente (15 $), notamment, au secrétariat de la Faculté de musique, 3312, pavillon Louis-Jacques-Casault.