2 octobre 1997 |
Vieillir n'a pas le même sens de part et d'autre de l'écran de télévision
La télévision cherche davantage à rassurer sur le vieillissement qu'à renseigner sur la réalité des personnes âgées, conclut la chercheure Lise Dubois, du Département des sciences des aliments et de nutrition, après avoir analysé 756 heures d'émissions. Qu'il s'agisse des bulletins d'information, des talk-shows, des téléromans ou des publicités, les différents genres télévisuels utilisent, chacun à sa manière, des stratégies pour nier la réalité du passage des ans tout en cherchant à séduire ce public captif.
Parle, parle...
Plus encore que la société, la télévision vénère
la beauté, la jeunesse et les champions, ce qui laisse bien peu de
place à l'automne des corps. "L'univers télévisuel
accepte bien la vieillesse, surtout chez les personnes qui restent jeunes,
belles et alertes, dit la chercheure. Celles qui y parviennent sont glorifiées
parce qu'elles nous donnent une image rassurante du vieillissement tandis
que les autres sont oubliées."
L'analyse des énoncés contenus dans trois semaines complètes d'émissions, diffusées en mars 1992 sur les ondes de la SRC et de TVA, révèle que les animateurs et les vedettes de talk-shows prononcent le tiers de tous les énoncés sur le vieillissement. Viennent ensuite, sur un pied d'égalité avec 10 % à 15 % des énoncés, les professionnels de la santé, les journalistes, le public, les personnages de téléromans et les publicités, rapporte la chercheure dans le dernier numéro de la Revue canadienne du vieillissement.
"L'image du vieillissement à la télévision est principalement construite par des animateurs et des vedettes qui bénéficient à la fois d'une tribune privilégiée et de l'estime de la population sans toutefois être des spécialistes de la question, dit-elle. Ils perpétuent souvent des clichés, leurs impressions personnelles et leurs propres craintes face au vieillissement."
Le second rôle
Comme la plupart des minorités, les personnes âgées
sont sous-représentées à la télévision.
Dans les téléromans, elles occupent des rôles secondaires,
souvent comme parents des personnages principaux, et elles incarnent l'inverse
du stéréotype: une grand-maman qui commence à fumer,
qui prend un amant ou qui discute sexe avec son petit-fils. Les grands dossiers
d'affaires publiques leur sont rarement consacrés sauf pour dénoncer
des problèmes propres à leur groupe d'âge: le fardeau
qu'elles représentent pour le système de santé, le
problème de la prise en charge des personnes en perte d'autonomie,
etc.
Dans les publicités, les personnes âgées n'apparaissent que pour présenter des produits qui leur sont spécifiquement destinés alors que dans les émissions d'affaires publiques, on les invite plus souvent qu'autrement pour parler d'un passé révolu. Les talk-shows prennent souvent un ton condescendant à leur endroit ("nous recevons aujourd'hui le dynamique groupe de l'âge d'or de Saint-Pacôme"). Et lorsque la télévision met la main sur des centenaires (à plus forte raison sur la doyenne de l'humanité), tous les clichés y passent, y compris le sempiternel secret de leur longévité (l'abstinence pour l'un, un verre de gin chaque matin pour l'autre) et l'incontournable scène des chandelles sur le gâteau d'anniversaire.
"La télé donne deux visions complémentaires de la vieillesse, analyse la chercheure. La première, une vision médicale centrée sur l'esthétique, qui tend à nier la réalité du vieillissement normal du corps, et la seconde, une vision sociale qui dépeint les contraintes reliées à la perte de statut, à l'arrêt du travail. Seul le travail rémunéré ou le bénévolat offre l'illusion du non-vieillissement." Dans les sociétés où la valorisation principale vient du travail et de la consommation, le vieillissement et la retraite font office d'antichambres de la mort. D'où, sans doute, la perception que le vieillissement est un danger contre lequel il faut se prémunir et le florissant marché des produits et services pour atténuer les méfaits du temps.
Selon Lise Dubois, la télévision mène une campagne de séduction auprès des personnes âgées, une clientèle consommatrice d'émissions, surtout pendant les heures creuses de la journée, et de produits et services divers. En 1990, le Canadien moyen passait 25 heures par semaine devant la télé alors que les 60 ans et plus y consacraient presque dix heures de plus.
Les observations de la chercheure soulèvent cependant un paradoxe. Si la télé donne une fausse image de la vieillesse, pourquoi alors les personnes âgées passent-elles autant de temps devant le petit écran? "D'une part, dit Lise Dubois, la télévision est le média qui reste le plus accessible à mesure que diminue l'autonomie des personnes âgées. D'autre part, elle constitue une présence pour contrer l'ennui ou la solitude. Enfin, le télévision n'est pas uniquement une fenêtre sur la réalité; elle offre aussi du rêve et permet de vivre, par procuration, la jeunesse, la beauté et les sentiments désormais refusés aux personnes âgées."