![]() |
25 septembre 1997 ![]() |
Dans le monde de la rectitude politique, mieux vaut
appeler
les choses par leur nom
"Le soir du référendum, Jacques Parizeau a oublié d'être politically correct lorsqu'il a déclaré que le vote ethnique était en partie responsable de l'échec du camp du OUI. Il faut se concentrer sur ces moments où les politiciens s'oublient et où les masques tombent. À cause de ces propos racistes, Jacques Parizeau a ainsi perdu toute crédibilité à mes yeux, a lancé le romancier québécois Neil Bissoondath, lors d'une table ronde portant sur le thème de la rectitude politique. Animée par le journaliste Laurent Laplante, la discussion réunissait également Bernard Arcand, professeur au Département d'anthropologie, et André Comte-Sponville, philosophe et maître de conférence à la Sorbonne.
Si la politesse et la décence constituent des règles minimales que toute société digne de ce nom doit respecter, il n'en demeure pas moins qu'il existe des moments où la colère et l'irrespect sont nécessaires, ont convenu pour leur part Bernard Arcand et André Comte-Sponville. "La rectitude politique est une négation de l'essence même de la politique qui entretient le conflit, l'opposition. En ce sens, la rectitude politique menace l'expression de nos conflits et donc, la démocratie," a fait valoir André Comte-Sponville. L'aspect constant de la rectitude politique étant de dire ce qui plaît au plus grand nombre, les gens utilisent un vocabulaire aseptisé ne signifiant plus grand-chose. "Il est devenu politiquement incorrect d'être fier de ce qu'on est, a continué le philosophe. Si on dit: "Je suis fier d'être blanc", on est un fasciste. Mais si on dit "Je suis fier d'être noir", c'est correct. En un mot, il y a des choses qu'on a le droit de dire quand on est minoritaire mais pas lorsqu'on est majoritaire. "
Noirs et Arabes
Variant au cours des décennies, l'appellation des groupes de personnes
illustre à merveille le phénomène de la rectitude politique
à tout prix. Aux États-Unis, les gens de race noire ont
été successivement désignés sous le nom de nigger,
puis deColor People et de Black American. Aujourd'hui, le
terme Black serait correct et incorrect à la fois. On parle
actuellement de African American. En France, où le mot "nègre"
est devenu politiquement incorrect depuis belle lurette, on emploie le terme
Black, surtout chez les jeunes. "Heureusement, la réalité
change, a souligné Bernard Arcand. Il n'y a pas si longtemps, le
cinéma américain pouvait se permettre de dénigrer les
Indiens sans se faire taper sur les doigts. Actuellement, on tape sur les
Arabes. Tout cela correspond à ce que vit la société
avec ses différents groupes."
"Dès lors qu'on fait passer l'appartenance communautaire à l'appartenance nationale, on porte un dur coup à l'idéologie républicaine, a rappelé André Comte-Sponville, en bon Français fier de sa patrie. Finalement, ou bien les races n'existent pas, ou bien il y a des différences. Dans ce dernier cas, on ne peut donc plus dire que tous les hommes sont pareils." "Un des aspects de notre monde moderne est qu'on ne peut plus faire de mal à une mouche parce que notre sécurité en dépend, a soutenu Bernard Arcand. Cela ne se fait pas sans minimiser et effacer les différences. C'est beaucoup plus rassurant de dire ou d'entendre parler de mal-voyant ou de mal-entendant plutôt que d'aveugle ou de sourd."
Mais la rectitude politique recèle des aspects positifs, comme l'a conclu Bernard Arcand: Le politically correct est tellement ennuyeux qu'il permet à des gens d'être intéressants et originaux. Prenez par exemple Molière qui n'a eu de cesse de se moquer des gens politically correct dans ses pièces." Comme quoi, chaque chose a ses bons côtés...