![]() |
25 septembre 1997 ![]() |
Il existe autant de visions des débuts de l'humanité
qu'il y a de disciplines s'y intéressant
Réunis par l'Association des anthropologues du Québec, les spécialistes en biologie, préhistoire, anthropologie ou paléonthologie n'ont pu cacher que chacune de leur discipline développe sa propre vision des débuts de l'humanité. Mais ils s'entendent au moins sur une chose: l'impossibilité de déterminer une date précise pour déclarer l'apparition du premier homme ou de la première femme sur Terre. Vraisemblablement, une espèce de chimpanzé a lentement divergé de l'espèce principale, pour évoluer vers l'humain au cours d'une période de transition ressemblant à une zone grise, pour reprendre les mots d'un des conférenciers, Cyrille Barrette, professeur au Département de biologie de l'Université Laval.
Les chercheurs qui tentent de clarifier la naissance de l'espèce humain se heurtent en fait à un obstacle de taille: le manque d'indices probants. Bien sûr, ils utilisent des fossiles, mais leur interprétation laisse beaucoup à désirer car certaines espèces s'avèrent parfois très difficiles à distinguer. Comme l'a rappelé un des biologistes présents, il arrive en effet que des mammifères contemporains comme les cerfs partagent une même morphologie, visible plus tard dans des fossiles, mais qu'un bagage génétique distinct les classe dans des sous-groupes distincts.
Le professeur Yves Coppens, du Collège de France, qui a participé à la découverte de la célébrissime australopithèque Lucy reconnait que la paléonthologie doit s'accommoder d'une bonne dose d'approximation concernant la dénomination des espèces. Généralement, les paléonthologues tentent donc de hiérarchiser les différences entre ces dernières. Ainsi l'Homo Habilis, qui aurait possédé 32 dents et un cerveau à la fois plus gros et plus complexe que l'australopithèque, nous ressemblerait plus qu'il ne ressemble au fossile Lucy.
Outils et comportements
Certains s'orientent également vers l'étude de l'outillage,
qui permet par extrapolation de saisir les comportements de l'Homme de Néanderthal
ou de Crô-Magnon, pour remonter le fil du temps. Un préhistorien
de l'Université Laval, Alain Delisle, tente ainsi de saisir les déplacements
de nos lontains ancêtres dans leur habitat, à partir de la
disposition des outils au sol. De milliers d'années en milliers d'années,
les différentes tâches quotidiennes se distinguent mieux dans
l'espace, qu'il s'agisse de s'aménager un lieu pour dormir, un autre
pour tailler la pierre ou un troisième pour manger.
Mais cette habileté technique naissante peut-elle indiquer le début d'un embryon d'humanité chez nos lointains ancêtres, alors que certaines espèces animales comme le castor et les termites rivalisent d'ingéniosité technique pour adapter le milieu à leurs besoins?, s'interroge Cyrille Barette. D'autant plus, souligne Jean-Jacques Chalifoux, professeur d'anthropologie à l'Université Laval, que les primates comme les chimpanzés, même s'ils ne fabriquent pas d'outils, doivent apprendre un code social extrêmement complexe à l'intérieur de leur groupe, qui représente un véritable défi à l'intelligence.
Voir venir
En fait, c'est la capacité de l'homme à penser à demain,
à se projetter dans l'avenir, qui nous distinguerait des autres espèces.
Comme le remarque Yves Coppens, l'utilisation d'un fixant pour les couleurs
par les peintres rupestres, qui ont décoré les grottes de
Lascaux et d'ailleurs, témoigne de leur volonté de laisser
une trace dans l'avenir. Sans compter, ainsi que le précise Alain
Delisle, qu'ils ont dessiné des bisons ou les scènes de chasse
de mémoire, puisqu'ils se trouvaient dans le fond de leur caverne.
Mais de toute façon, les polémiques autour de l'origine de notre espèces sont loins d'être réglées, concluent les différents participants au débat, puisque ce thème joue presque le rôle d'un mythe fondateur. Ce qui signifie notamment que la recherche subit les influences de la société ambiante. Ainsi, Jean-Jacques Chalifoux rappelait que sous la pression des féministes dans les années soixante, la primatologie a dû s'appuyer sur le comportement d'autres espèces modèles que le singe, car les chercheures considéraient ce choix comme sexiste. Comme le lançait à la blague Cyrille Barette en concluant, "Il y a finalement autant d'histoires que de conteurs en paléoanthropologie."