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25 septembre 1997 ![]() |
Faut-il réviser notre façon de négocier
des accords commerciaux
avec un géant protectionniste?
En excluant la culture de certains accords commerciaux mondiaux, le Canada et d'autres pays, comme la France, pensaient préserver l'invasion de leurs écrans de cinéma ou de télévision par le poids-lourd américain, et protéger leurs artistes. Mais comme l'ont constaté les conférenciers qui, à l'invitation de la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d'expression française en Amérique du Nord (CEFAN), débattaient de l'exception culturelle, cette clause commerciale particulière ne suffit pas à protéger les nations qui souhaitent préserver leur diversité culturelle.
Ce type de restriction à la liberté des échanges irrite d'ailleurs les partisans d'un marché sans contraintes qui maintiennent que personne n'oblige les spectateurs à choisir un film américain plutôt qu'une production de leur pays. Pourtant, comme le constate Ignacio Ramonet, le directeur du Monde diplomatique, les États-Unis ont tellement dominé le monde du XXe siècle qu'ils ont réussi à marquer notre imaginaire collectif. Difficile désormais d'envisager un western, une bande dessinée, un film de gangsters, sans se référer au pays de l'Oncle Sam, ce qui facilite grandement la diffusion de ces produits culturels. Les énormes moyens financiers mis en jeu permettent par ailleurs à Hollywood de maintenir une bonne avance technologique pour les effets spéciaux, et d'incarner facilement l'innovation et le progrès technique aux yeux des peuples du monde.
Bien sûr, plusieurs États ont mis en place des politiques culturelles visant à soutenir leurs propres industries en créant des sociétés publiques de radiodiffusion, en imposant des quotas de musique nationale, ou en investissant dans la production de produits locaux. Mais parfois, ces mesures peuvent constituer un alibi au protectionnisme, comme le constate Jacques Rigaud, directeur de Radio-Télé-Luxembourg. Ce dernier croit pour sa part que pour mieux défendre sa culture, l'État doit avant tout y croire et mieux soutenir des domaines comme l'urbanisme, l'architecture, l'opéra, le théâtre, qui selon lui intéressent peu des intérêts étrangers.
Vers des clauses particulères?
De toute façon, les réglementations rigides parviennent de
moins en moins à encadrer un marché qui déborde les
frontières nationales avec le développement des nouvelles
technologies. Adélard Guillemette, sous-ministre au ministère
de la Culture et des Communications du Québec, prédit ainsi
que le Canada n'aura d'autre choix que d'assouplir ses règlements
sur la diffusion, avec l'arrivée prochaine des nouvelles chaînes
de télévision disponibles par satellite. De plus, la définition
même de produit culturel devient un exercice toujours plus ardu. L'exception
culturelle concerne-t-elle de la même façon une disquette informatique,
un livre, un studio de télévision ou un magnétoscope?
Toutes ces difficultés amènent Yvan Bernier, professeur à la Faculté de droit de l'Université Laval et spécialiste en droit international et économique, à prôner l'adoption de clauses particulières selon les secteurs culturels, plutôt que d'exclure purement et simplement la culture des échanges commerciaux. Il rappelle en effet que le Québec exporte de nombreuses productions télévisées, mais par contre résiste mal à l'invasion de ses écrans de cinémas par Hollywood. Le juriste croit donc que la défense de la production culturelle nationale passe davantage par une solide discussion commerciale avec les États-Unis, en leur démontrant leur propre protectionnisme face aux films, musiques, livres venus d'ailleurs. Pendant que les "Hommes en noir" envahissaient les salles françaises, belges, québécoises, allemandes cet été, combien de films danois, polonais, chiliens ou tunisiens étaient disponibles chez notre voisin du Sud?