4 septembre 1997 |
Trois étudiants à la maîtrise en archéologie reviennent d'un stage de fouilles passionnant en Guyane française
D'un sac de plastique soigneusement numéroté et étiqueté, Jacques-Alexis Bernardin tire un fragment de pipe africaine qu'il exhibe fièrement à la ronde. Ce morceau s'ajoute aux 34 autres fragments de même type qu'il a trouvés sur le site archéologique d'une sucrerie exploitée par les Jésuites dans les années 1760, non loin du chef-lieu de Cayenne. Grâce à ses découvertes, cet étudiant au Département d'histoire pense en effet pouvoir identifier les pays d'origine des quelque 400 esclaves africains travaillant dans cette sucrerie. Signalons que les Jésuites y faisaient pousser la canne à sucre en vue de subvenir aux besoins financiers nécessaires pour soutenir leurs missions chez les Indiens du Brésil.
À l'instar de son compagnon, Alain Chouinard ne revient pas les mains vides de son séjour en Guyane, ramenant dans ses bagages plus de 80 kilos de morceaux en fer. L'étude de ces fragments pourrait lui fournir de précieux renseignements sur la fabrication des outils agricoles utilisés à cette époque, ainsi que sur la façon dont les forgerons travaillaient. Nathalie Croteau, responsable de la mise en valeur de ce site archéologique, participait également à cette campagne de fouilles. Son principal défi consistait à intéresser les habitants du pays à leur patrimoine, une tâche particulièrement difficile, selon ses dires.
Notons que les responsables de ce projet de recherche sont Réginald Auger et Marcel Moussette, chercheurs au CELAT (Centre d'études sur la langue, les arts et les traditions populaires des francophones en Amérique du Nord). La recherche sur le terrain s'est effectuée en collaboration avec les professeurs Claude Lorren et Yannick Le Roux, de l'Université de Caen, en France.
"Qui s'y frotte s'y pique"
Armés de leurs pioches et de leurs pelles, nos trois archéologues
en herbe ont défriché, creusé et retourné la
terre de juin à août, espérant y découvrir des
"trésors". En plus de travailler sous la chaleur torride
prévalant dans ce pays d'Amérique du Sud, le trio a eu à
composer avec la faune exotique de la forêt, constituée entre
autres de serpents, de mygales et de scorpions. Sans compter les insectes,
au nombre de 10 tonnes par hectare, en moyenne: "Au début, nous
étions franchement dégoûtés, raconte Nathalie
Croteau. Puis nous nous sommes rendus compte que rien de tout cela n'était
vraiment agressif."
Le groupe a aussi appris à ses dépens qu'on ne se frottait pas impunément à certains arbres, comme les fameux "boisdiables" hérissés de piquants. Avec enthousiasme, les chercheurs parlent d'une expérience extraordinairement formatrice qui les a laissés sur leur faim. "L'archéologie coloniale est un secteur de recherche encore inexploré et ceux qui s'y adonnent font presque figure de pionniers, explique Jean-Alexis Bernardin. En fait, c'est un domaine passionnant où tout reste à faire. "
Assoiffés de découvertes, ces aventuriers des temps modernes espérent d'ailleurs avoir la possibilité de retourner en Guyane l'été prochain, afin de donner en quelque sorte la parole à ces esclaves jadis baîllonnés qui, sans ces fouilles archéologiques, emporteraient à jamais leur secret dans leur tombe.