4 septembre 1997 |
PAUVRETÉ MAUDITE
Depuis des temps immémoriaux et sur tous les continents, des femmes et des hommes ont dû se prostituer pour échapper à la pauvreté. Nous avons apparemment décidé d'emprunter cette voie pour les mêmes motifs.
Nous savons les coupures auxquelles l'État a procédé dans les budgets des universités. Pas étonnant dès lors que la direction de notre institution se sente dans l'obligation de recourir aux vendeurs de publicité pour arrondir les fins de mois, comme on dit.
Quelqu'un a donc eu l'idée, ô combien géniale, de proposer l'installation de panneaux-réclame dernier cri un peu partout sur le campus. Et peut-être n'est-ce qu'un début.
N'est-ce pas que ces pubs apportent un supplément de couleurs vives aux teintes souvent fort ternes des pavillons de notre "cité" universitaire? Qui plus est, cette pub n'existe-t-elle pas déjà sur les abris-bus, au terrain de football, dans les toilettes et à bien d'autres endroits? Alors pourquoi s'offusquer?
Pour rester dans le ton, je proposerais d'ailleurs qu'on ajoute, aux entrées des pavillons, des fluorescents du rouge caractéristique de certains quartiers ou "cités", question de mieux afficher nos couleurs: faire scintiller le rouge dans l'espoir d'attirer l'or.
LIVRE DISPONIBLE NON DISPONIBLE!
Quel titre insolite qui j'espère piquera votre curiosité. De mon côté, je suis plutôt piquée de frustration que de contentement en ce début de session "Automne 97". Assez pour me faire provisoirement "journaliste d'un jour"en prenant ma plume et en laissant aller ma thèse pour enfin m'exprimer ouvertement. Je m'explique et je me demande si je suis la seule à vivre ce genre de situation. Si tel est le cas, je me tairai; sinon, que les autres le disent aussi!
Vous arrive-t-il de vous rendre à la Bibiothèque, munis de la cote et heureux d'acquérir un livre de l'année, généreusement offert par une commandite ou encore, acheté délibérément par les responsables de la Bibliothèque générale? Ce livre est-il mentionné "disponible" à votre ordinateur mais, il ne se loge même pas sur l'étagère assignée? Est-ce votre erreur? Vous vérifiez à nouveau sur l'ordinateur (cette fois-ci sur les lieux)... Et qui plus est, les personnes ressources sur les étages, questionnées par vous, impuissantes devant cet état de fait, vous envoient-ils gentiment au pré-classement? Le livre tant convoité ne s'y trouve pas, bien sûr!
Mais, où est passé ce nouveau livre 1997? Ces mêmes responsables qui connaissent bien leur travail, soit dit en passant, avouent même ne pas avoir vu passer cette nouvelle acquisition. Ils demeurent silencieux et songeurs, tout comme vous.
Les questions que je me pose, depuis ma maîtrise, il y a quelques
années, sont :
Où est caché ce volume?
Qui lui met la "main dessus" en frôlant le contrôle
des bibiothécaires?
Combien de temps le garderont-ils égoïstement de leur côté
et ce, en privant les autres (étudiants, professeurs) qui ne peuvent
même pas le réserver?
Il est disponible officiellement mais fluide, volatilisé ou carrément vol...é?
À ma connaissance, depuis les quelque six ou sept ans passés ici, il s'est perdu beaucoup de livres ainsi, que je n'ai pu consulter, même pas en acheter d'autres, alors que la Bibiothèque ne les renouvelait même pas non plus! Les personnes ressources font le tour de tous les petits bureaux attenants à la Bibliothèque une fois par semaine pour remettre les livres en circulation. Mais il ne peuvent pas fouiller tous les replis et les documents sur les tables. Ils sont assez éthiques pour éviter de le faire.
Mesdames, messieurs, laissez donc circuler les livres honnêtement en enregistrant d'abord officiellement votre sortie de livre pour permettre ainsi aux autres, qui ne sont pas beaucoup plus riches que vous, et qui désirent faire avancer leurs recherches, d'en profiter, tout comme vous!
Soyez éthiques et responsables de vos actes. Bonnes lectures, bonne année académique à tous, merci de votre compréhension. Livre disponible et... enfin rendu disponible ... pour le bénéfice de tous !
LÉON DION, MON ÉPOUX
Nous présentons ici le panégyrique lu par Denyse Dion, lors du service funèbre célébré à la mémoire du professeur Léon Dion, décédé le 20 août.
Je remercie toutes les personnes qui auraient pu aujourd'hui vous adresser la parole mais il m'a semblé que je devais à Léon, moi qui ai partagé 46 ans de sa vie, de vous parler de lui. Avec un don pour cerner le présent et prévoir l'avenir, une intelligence hors du commun, une indépendance farouche - "Je ne dois rien à personne... Je ne me réclame d'aucune orthodoxie", a-t-il écrit dans son dernier livre, Le Duel constitutionnel -, avec un immense respect pour la liberté des autres. Léon Dion fut un homme d'une très grande exigence et d'une très grande bonté.
Exigeant, il l'a d'abord été pour lui-même. Travailleur infatigable, s'accordant très peu de repos, il ne définissait sa pensée qu'après de multiples lectures sur tout ce qui s'était dit et publié sur le sujet car il avait un grand respect des idées d'autrui. Il était toujours à la recherche du mot juste qui rendrait le mieux sa pensée, qui refléterait le mieux sa réalité et il peaufinait sans cesse ses écrits. Léon ne possédait pas la Vérité, il était constamment à sa recherche, la cernait dans ses moindres nuances, admettait parfois, sans indulgence pour lui-même, s'être trompé. Il nuançait sa pensée sans compromission avec lui-même ou avec les autres. Gilles Lesage et Michel Roy ont écrit de Léon dans l'Engagement intellectuel - Hommage à Léon Dion: "Dans sa vision du monde et des hommes, rien n'est jamais simple. Mieux que quiconque il sait qu'une chose est vraie mais que son contraire n'est pas forcément faux."
Exigeant, il l'a été pour ses enfants. Il leur a appris ce qu'était l'excellence, essayant toujours d'obtenir le meilleur d'eux-mêmes. Il leur a inculqué la droiture, le courage, le désir de se battre pour leurs convictions et pour une société meilleure. Il leur a aussi enseigné la bonté et l'amour envers leurs semblables. Très fier de ses petits enfants, il a été pour eux d'une bonté et d'une générosité sans bornes, s'intéressant à leurs jeux, leurs études, leurs peines et leurs joies. Il jouait avec eux avec l'ardeur d'un adolescent.
Exigeant et bon il l'a été pour ses amis, quelles que soient leurs allégeances politiques. Assez solitaire, l'amitié n'était pas pour lui un vain mot. Il excusait tout chez ses amis, leur donnait toujours le bénéfice du doute. Il les écoutait, les conseillait, les réconfortait. Tous trouvaient chez Léon Dion une oreille attentive et un accueil chaleureux. Il respectait leurs idées. S'il se montrait parfois exigeant, les forçant à trouver, à l'intérieur d'eux-mêmes, la réponse à leurs inquiétudes et à leurs interrogations, ils rencontrent aussi chez lui une grande compréhension envers leurs doutes et leurs angoisses.
Bon, il l'a été pour ses étudiants, leur consacrant sa vie, répondant au téléphone quel que soit le jour ou l'heure, même tardive, recevant leurs confidences et les aidant parfois financièrement, il se montrait sévère lorsqu'il jugeait leurs travaux: son but étant de les faire se révéler à eux-mêmes et d'obtenir le meilleur de leurs possibilités intellectuelles. Éducateur né, je pense qu'il leur a communiqué sa soif de la recherche de la vérité, son exigence de la pensée précise, son horreur de toute compromission. Il visait l'excellence pour l'université qu'il aimait.
Envers les médias, il faisait preuve d'une grande générosité. Je l'ai entendu leur donner de longs cours au téléphone sur le sujet de leurs prochaines chroniques sans jamais s'impatienter ou demander d'être cité. Jamais je ne l'ai vu vindicatif après avoir lu une critique ou un article qui dénaturait sa pensée.
Il était toujours prêt à les aider de ses conseils et de son amitié. Il ne faisait ainsi, disait-il, que remplir son rôle d'éducateur car le métier de professeur ne se cantonnait pas pour lui seulement à la salle de classe. Il estimait que c'était son devoir de participer à l'amélioration des connaissances du monde. Dans l'Engagement intellectuel, Gilles Lesage et Michel Roy écrivent: "Monsieur Dion a développé au cours des ans les contacts avec la presse, donné plusieurs entrevues, expliqué longuement les nuances d'une pensée alerte, curieuse et parfois surprenante. Aimable et courtois envers tous, y compris le plus jeune néophyte, M. Dion n'oublie jamais qu'il est professeur." Il en était de même avec les nombreux groupes de la société qui demandaient son aide: aide-infirmières, directeurs d'hôpitaux, enseignants, députés, syndicats, patronats, etc. Jamais Léon ne leur refusait conseils, consultations, médiations ou conférences. Il avait une très haute conscience de son rôle social.
Il a écrit dans Le Duel constitutionnel: "Bien sûr que le Québec est ma patrie. Mon attachement à la terre de mes ancêtres, venus ici de Mortagne en Perche parmi les premiers colons en 1635, est profond et comble mes besoins affectifs. Mais le Canada est mon pays." Exigeant et bon, il l'a été pour sa patrie, le Québec, et pour son pays, le Canada. Jusqu'au dernier jour, dans le livre sur la Révolution tranquille qu'il écrivait encore quelques minutes avant sa mort et que j'espère publier un jour, il cherchait à les réconcilier.
Je suis fière de penser que dans cette grande chaîne de l'humanité dont nous faisons tous partie, le maillon Léon Dion aura contribué à améliorer la chaîne.