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21 août 1997 ![]() |
Le pédiatre Jean Labbé présidera un des deux comités qui examineront désormais tous les décès suspects d'enfants de moins de cinq ans au Québec.
Une chute, un arrêt respiratoire, une disparition puis des parents brisés par la douleur: un enfant meurt. Parfois, ces drames, qui se déroulent derrière des portes closes, sans témoin, dans le silence feutré de maisons où, croyait-on, des gens vivaient heureux, ont un nom qui blesse l'oreille et les coeurs: infanticide.
Au Québec, chaque année, une centaine de petites vies se terminent abruptement, dont un nombre indéterminé emportées dans la tourmente d'événements obscurs et violents qui échappent à la raison. Ces drames humains, Jean Labbé, pédiatre et professeur à la Faculté de médecine, les connaît trop bien. Depuis vingt ans, il soigne des enfants maltraités et, lorsque le Bureau du coroner fait appel à lui dans des cas de décès, il examine le corps des petites victimes. "Même après tout ce temps, on ne s'habitue pas et il ne faut surtout pas s'y habituer", insiste-t-il d'une voix qui sous-entend que chaque nouveau cas est un cas de trop.
Parce que les événements qui entourent ces décès se déroulent sans témoin, l'infanticide est difficile à prouver et le nombre réel de cas peut difficilement être établi. "Les journalistes m'ont posé la question à plusieurs reprises il y a quatre ans alors que j'agissais comme expert dans le cas du décès de bébé Jonathan, dit Jean Labbé. Il n'existait tout simplement pas de données et j'ai senti le besoin de tirer la question au clair. D'après des études effectuées ailleurs, je soupçonnais que le phénomène était sous-diagnostiqué et qu'un pourcentage de décès classés comme accidentels ou attribués au syndrome de mort subite du nourrisson étaient en fait des infanticides."
Il avait raison. L'étude qu'il a publiée il y a quelques mois avec Valérie Roy dans la revue scientifique Ambulatory Child Health montre qu'à Québec, les cas d'infanticide seraient au moins deux fois plus fréquents que ne l'indiquent les statistiques officielles. L'analyse des dossiers se rapportant à 29 morts suspectes survenues entre 1985 et 1994 montre qu'à peine 40 % des investigations couvrent les cinq éléments maintenant recommandés en pareils cas soit un bilan squelettique, une autopsie en milieu spécialisé, une enquête du coroner, une enquête policière et une visite au site du décès. "Alors que quatre homicides seulement avaient été officiellement reconnus, la révision des dossiers a permis de reconnaître quatre autres homicides probables et trois autres possibles", écrivent les deux médecins.
Confrontés à ces données choquantes, Jean Labbé et Valérie Roy ont proposé l'instauration d'un comité multidisciplinaire de révision des décès d'enfants dans le but de favoriser une investigation systématique de ces décès et d'en arriver à identifier tous les cas d'infanticide. Leur recommandation n'est pas restée lettre morte puisque le ministère de la Justice et le Bureau du coroner viennent de créer, à Québec et à Montréal, deux comités chargés de "passer en revue tous les décès d'enfants de 5 ans et moins dont les causes et les circonstances suscitent un questionnement". Jean Labbé a été désigné pour présider le comité de Québec. "Il y avait déjà une sensibilisation au Bureau du coroner et au ministère de la Justice mais je crois que l'étude a été un facteur déclenchant", dit-il.
La présence, au sein du comité, de représentants du Bureau du coroner, du Bureau de protection de la jeunesse, du milieu policier et du Bureau du procureur général, vient combler le manque de suivi et de communication qui existait parfois entre ces organismes, poursuit-il.
Les investigations de décès d'enfant sont mieux faites depuis l'établissement, en 1994, d'un protocole à suivre dans pareils cas. "La situation n'est cependant pas encore parfaite et le Comité est là pour faire en sorte que tous les décès soient correctement passés en revue et qu'aucun infanticide ne nous échappe."
Le Comité d'examen des décès d'enfant de Québec a tenu sa première réunion de travail au mois de juin. Il en aura malheureusement d'autres sous peu.