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21 août 1997 ![]() |
Hommage à Antoine Dumas
à l'occasion de son départ à la retraite
Roland Bourneuf écrivait en 1983: "Les positions anti-figuratives qui dominent chez les chroniqueurs d'art servent mal l'oeuvre de Dumas et le peintre a peut-être lui-même contribué, par modestie, à entretenir le préjugé quand il déclarait en 1973 n'être "qu'une sorte de journaliste" (alors qu'on le rapprochait de [Jean-Paul] Lemieux qu'il considère comme "un bien grand poète", mais avec lequel il ne se reconnaît "pas de parenté")." On trouve dans ce passage, l'essence conjuguée de l'oeuvre et de la personnalité de Dumas: figuration, poésie, engagement social, opinion claire, sens du punch, générosité, modestie.
À l'âge de sept ans, Dumas était déjà dessinateur, observateur aigu de son environnement, maîtrisant la perspective, et capable de tracer d'une main sûre. Je crois que, en réalité, Dumas est doté d'une vision "éidétique", comme disent les spécialistes, c'est-à-dire capable de stocker des images quasi aussi vives que celles qui sont vues en perception directe. C'est ce qui lui permet des découper dans la vie quotidienne des tranches qui ont l'air d'instantanés. Je me rappelle d'une panoplie qu'il avait faite des collaborateurs de l'agence Payeur Publicité où nous travaillions; tous se reconnaissaient dans ces portraits pourtant réalisés de mémoire.
Né en 1932 au coeur du Vieux-Québec d'un père journaliste et d'une mère issue d'une famille d'imprimeurs, Dumas a toujours été un homme de communication visuelle. Cela se vérifie dans plusieurs de ses images comme dans Dernière édition, Les impressions (1971), Pressier de nuit (1977) ou L'info-énergie (1981). De 13 à 17 ans, Dumas donne un aperçu de sa personnalité opiniâtre, et de son travail minutieux: chaque jour pendant ces cinq années, il réalise une illustration, image synthèse de l'actualité quotidienne, familiale, politique, sociale... qui devient un éphéméride en images. Dès son adolescence, on constate que Dumas était déjà passionné par la lettre. Ses dessins sont identifiés par des scriptes anglaises ou de grandes capitales à empattements. Ses tableaux de notes pour ses étudiants de l'université étaient toujours affichés en belles lettres manuscrites consciencieusement tracées.
Un imagicien passionné
Dumas est profondément un homme d'image. L'image, c'est sa façon
d'exprimer ses idées un peu comme Magritte qui n'aimait pas se faire
appeler artiste et objectait qu'il était "un homme de réflexion
qui communique ses idées par la peinture". Toute sa vie, Dumas
lui aussi, l'a consacrée à "penser en images". Et
l'enseignement a été sa façon à lui d'influencer
l'évolution de la société. Certains ont comparé
Dumas à Norman Rockwell; les images de Dumas sont encore plus construites.
Ou aux dessins de Ronald Searles; les images de Dumas s'élaborent
davantage par surfaces. Ou aux affiches de Cassandre; les images de Dumas
sont moins schématiques.
À partir de l'année de son diplôme en 1958, Dumas mène concurremment deux carrières, celle d'artiste peintre et celle de graphiste illustrateur. Comme graphiste, Dumas travaille d'abord dans la plus grande agence de publicité de Québec, Payeur Publicité. Puis il s'établit à son compte alors qu'il travaille très activement comme illustrateur: ainsi, en 1966-67, il publie coup sur coup deux manuels de catéchisme qui contiennent pas moins de 37 illustrations -sujet délicat s'il en est un.
Comme artiste, Dumas expose d'abord en 1964 en groupe avec Paul Lacroix, Michel Parent et Bernard Drouin à la Galerie Zanettin qui était alors la galerie de prestige à Québec. En 1968, Zanettin le convainc d'une première solo. En 1973, le Musée du Québec lui ouvre les portes pour une exposition itinérante à propos de laquelle Robert Leclerc du Carnet arts et lettres de Radio-Canada dit: "Exposition passionnante où le snobisme actuel voulant reléguer aux oubliettes une telle peinture trouverait son compte à venir se retremper aux sources."
Et c'est ainsi que Dumas, au fil des années, mène son petit bonhomme de chemin. Citons quelques unes de ces réalisations: en 1974, Le pee-wee est publié par l'UNICEF; à partir de 1976, il crée trois timbres pour la Société des postes; en 1977, Art global publie un Kamouraska d'Anne Hébert avec 10 images originales de Dumas, une reliure de Pierre Ouvrard... De nombreux journaux et périodiques ont publié des articles élogieux sur l'oeuvre d'Antoine Dumas. En 1983, les Éditions Stanké lancent un volumineux ouvrage de Roland Bourneuf sur l'homme et son oeuvre; en 1989, les Éditions Madeleine Lacerte récidivent avec un texte de Laurent Laplante.
Un homme d'opinion sur la société
Artiste, Dumas est aussi un homme de réflexion. Cet esprit d'analyse
toujours en action finira par faire de Dumas un homme d'opinions, mais d'opinions
exprimées exclusivement dans ses images. Dumas est devenu un as de
la synthèse: il cristallise une scène fugitive, condense le
temps de décades, symbolise les débats d'idées, rend
visible les évocations romanesques. Tout ça et à chaque
fois, dans une seule image qui est la plupart du temps un petit bijoux d'évidence.
Les drames individuels les plus tragiques, les enjeux sociaux les plus sérieux, sont toujours évoqués par Dumas avec un certaine retenue. De grands aplats calmes, des couleurs lumineuses, souvent piquetées de végétation qui vient adoucir le propos. Parfois, Dumas y ajoute une touche d'humour, un clin d'oeil, une allusion. Il sait même jeter un regard amusé sur les artistes eux-mêmes.
L'académicien modeste
Passionné par les nouvelles connaissances, Dumas a fait un premier
long voyage en Europe avant d'entrer à l'école des beaux-arts
de Québec en 1954. Toujours, il emporte son légendaire carnet
de croquis. En sabbatique à San Francisco en 1969, il s'inscrit modestement
au cours de dessin de mode d'où il est rapporte des personnages colorés
et longiformes comme son Chelsea Bird.
Dumas est un homme fidèle à ses relations affectives qu'il développe avec prudence mais aussi avec pérennité. Il en va de même de son sens plastique: son Intérieur rue Ste-Ursule (son premier foyer avec Marie son épouse) date de 1958; il y expose déjà les principales caractéristiques de son style: schématisation graphique, sens de l'anecdote, composition fortement structurée, profusion de lumière et de couleur. Comme le dessinateur Hokusaï qui l'admettait à l'aube de ses 90 ans, les années lui ont seulement permis de parfaire ce qu'il appréhendait déjà il y a 40 ou 50 ans.
S'exprimant par l'image, Dumas a laissé peu de textes derrière lui; il considère que ses images disent ce qu'il veut dire. Il a néanmoins publié À l'enseigne d'antan, un mise en perspective des enseignes traditionnelles du Québec. Dumas a été admis en 1980 à l'Académie royale des arts du Canada; son nom apparaît dans Le Larousse canadien des noms propres.
Dumas, le professeur
Dumas a toujours consacré une partie de son temps à l'enseignement
de la communication visuelle et de l'illustration comme genre particulier.
À partir de 1960, il enseigne à l'École des beaux-arts
où il devient professeur carrière deux ans plus tard. Au moment
où l'Université Laval intègre l'enseignement des arts
visuels en 1970, Dumas dirige l'enseignement du graphisme et il se bat pour
que l'enseignement de la communication graphique soit autonome et y réussit.
Dumas est aimé de ses étudiants pour qui il prépare minutieusement des exercices et des projets. Il leur accorde généreusement une écoute attentive et leur dispense avec largesse ses conseils qui s'appuient sur une large expérience. Ses étudiants comme ses collègues savent qu'il s'est donné à 100 % pour son enseignement, qu'il a vaillamment défendu ses idées sur ce qu'était la communication visuelle, et qu'il a toujours réussi à transmettre à ses étudiants une formation ancrée dans la réalité. Son départ est une grande perte pour tous ceux qui espéraient obtenir de Dumas ce sens de la communication visuelle que tant d'autres ont naguère encore repris de lui dans leur pratique.
Sinon, par quelque allusion imagique comme son Portrait d'académicien, Dumas reste discret aussi bien sur sa carrière que sur sa vie personnelle. Exprimons une espérance: à cet Autoportrait construit en abîme datant de 1980, Dumas devra s'y remettre et ajouter la tranche 1990 et une autre de plus pour l'An 2000...
Concluons avec ce court passage du professeur Roland Bourneuf qui est, dans sa forme discrète, un hommage élogieux à Dumas: "L'oeuvre de Dumas affirme des valeurs, elle tient un discours critique sur notre milieu, notre société, notre époque, observés avec un oeil d'une extrême précision, mais elle se sent fondamentalement en sympathie et, pourrait-on dire, en empathie avec ce monde."