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5 juin 1997 ![]() |
Le stage-école des étudiants en archéologie réservait des surprises sur le peuplement de l'ancien quartier de la Canardière
Depuis plusieurs semaines, les promeneurs qui visitent le Domaine Maizerets croisent une quinzaine d'étudiants coiffés d'un casque de chantier, un tamis ou un fil de plomb à la main, grattant délicatement des tas de boue noire. Ces détectives de l'archéologie ont creusé des trous et des tranchées dans le parc ou la grange principale, à la recherche notamment d'un mur d'enceinte au tracé hypothétique, et de tous les vestiges qui pourraient les renseigner sur la vocation ancienne du site. Ils accomplissent en effet leur stage-école, sous la direction de Réginald Auger et Marcel Moussette, tous deux professeurs d'archéologie à l'Université Laval.
L'archéologie ressemble parfois à un jeu de pistes. Au fil des fouilles qu'ils poursuivent depuis deux ans au Domaine Maizerets, les étudiants en archéologie tombent parfois sur des restes de structures relativement récentes qui ne figurent sur aucune des cartes anciennes, utilisées pour baliser leur travail. Ainsi, bien décidés au début de leur stage à mettre à jour une maison datant du régime français de dimensions connues, ils ont découvert des bouts de mur qui ne correspondaient pas à leurs plans. Une enceinte de grande dimension, entourant le domaine, apparaît également qui, vraisemblablement, reliait les différentes constructions en pierre.
"Au fil des ans, nous constatons que l'archéologie aide à faire apparaître une histoire plus fine que l'histoire officielle consignée dans les écrits ou sur les cartes", soutient Réginald Auger. Les vestiges de ce long mur qui parcourt probablement plusieurs centaines de mètres sous terre amènent les archéologues, par exemple, à s'interroger sur le type d'activités accomplies sur le site. Cette enceinte pourrait avoir servi à protéger les habitants du domaine d'attaques éventuelles ou des fortes crues saisonnières du Saint-Laurent qui, au XVIIe siècle, longeait le domaine. En effet, des traces de plancher en bois, des restes de céramiques, d'ossements d'animaux domestiques ou de gibier trouvés d'un seul côté du mur confirmeraient que plusieurs habitations longeaient le mur au temps du Régime français ou plus tard.
S'établir les deux pieds dans l'eau
Les archéologues, qui avancent l'hypothèse que les premiers
colons arrivés à Québec pourraient s'être établis
sur ce site, constatent d'ailleurs qu'il ressemble étrangement à
celui qui abritait l'Habitation de Champlain au Cap Tourmente, aux premiers
établissements sur la Côte de Beaupré ou même
à l'Ile aux Oies. "J'en viens à me demander si les Français
arrivant du marais poitevin, par exemple, ne choisissaient pas de s'installer
dans un milieu humide où le foin de mer, le petit gibier et le poisson
abondaient, de préférence aux forêts inhospitalières,
précise Marcel Moussette. Bien sûr, ils prenaient le risque
d'innondations régulières, mais en contrepartie ils profitaient
d'un endroit fertile, dépourvu de souches d'arbres à arracher."
Ouvert début mai, le chantier-école, qui finit ses activités le 6 juin, progresse lentement car les étudiants doivent respecter scrupuleusement chaque étape du travail pour se familiariser avec les techniques de fouille. Arpentage, dessins sur papier millimétré, prises de photos, coupes soigneusement reproduites, chacun consigne ses observations et les remet à un chef d'équipe qui se charge de l'enregistrement des données. Une étudiante de deuxième cycle, Marie-Noëlle Tremblay, rédigera ensuite le rapport sur le chantier et la synthèse des découvertes afin de nourrir son mémoire de maîtrise.
L'équipe de jeunes archéologues a en effet mis au jour quelques vestiges intéressants, comme des poils d'animaux, des graines de plantes européennes et autochtones, ainsi que des céramiques françaises. Tous ces objets, bien conservés, reposaient dans une terre humide gorgée d'eau car ce type de milieu prévient la dégradation organique. Il semble donc possible de penser que le quartier de la Canardière abritait depuis fort longtemps des campements saisonniers autochtones, qui profitaient de leur séjour pour chasser le petit gibier d'eau. Cette situation privilégiée fait donc du Domaine Maizerets un lieu de fouilles très intéressant pour l'avenir.