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5 juin 1997 ![]() |
Bernard Fortin est le premier chercheur de Laval à
recevoir
le Prix de la Société canadienne de science économique
L'avalanche de chiffres que les politiciens se lancent à la tête lors d'élections, qu'il s'agisse de réduire miraculeusement le nombre de chômeurs ou de résorber le déficit, portent à chaque campagne un dur coup à la crédibilité de l'économique. Certains, pourtant, comme Bernard Fortin, persistent à revendiquer leur appartenance à une science qu'ils considèrent comme positive à défaut d'être exacte. Ce professeur au Département d'économique vient de recevoir le Prix de la Société canadienne de science économique pour la qualité de sa production scientifique, une distinction attribuée pour la première fois à un chercheur de l'Université Laval.
Depuis plus de vingt ans, Bernard Fortin construit des modèles mathématiques pour mieux comprendre et analyser des phénomènes, notamment l'impact des transferts sociaux sur les choix des individus. Il a ainsi étudié la durée du séjour à l'aide sociale, un projet financé par le ministère de la Sécurité du revenu, en mettant en lumière les facteurs favorisant une certaine dépendance à cette forme d'assistance. "Avec Guy Lacroix, nous avons constaté que la croissance économique, les coupures portées à l'assurance-emploi, l'augmentation du salaire minimun, jouaient un rôle dans la décision des individus de demeurer ou non sur l'aide sociale", explique ce spécialiste en économie du travail et en microéconomie appliquée.
À la tête de deux centres
Homme d'équipe, Bernard Fortin travaille la plupart du temps avec
des chercheurs en économique ou en administration, membres du Centre
de recherche en économie et finances appliquées (CRÉFA)
ou du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations
(CIRANO), deux centres dont il assume la direction. Cette vision interdisciplinaire
de la recherche le met peut-être à l'abri de la partisanerie.
Cet économiste minutieux refuse en effet d'endosser un discours politique
ou social quelconque, même s'il travaille sur des sujets qui font
l'objet de débats de société à l'heure des coupures
budgétaires.
Une même étude peut d'ailleurs faire l'objet d'interprétations différentes. Ainsi, le chercheur a constaté que l'augmentation du salaire minimum incitait les travailleurs qualifiés de plus de 25 ans à intégrer le marché du travail, tandis que les moins de 25 ans ont plutôt tendance à se tourner vers la sécurité du revenu car les employeurs embauchent moins de salariés peu formés. En croisant plusieurs variables à partir de banques de données toujours plus importantes, les microéconomistes parviennent à affiner des choix de comportements qui, sinon, resteraient assez mystérieux.
"L'informatique a permis une véritable révolution dans ce domaine, grâce à des logiciels de plus en plus conviviaux qui offrent la possibilité de traiter d'énormes fichiers, explique Bernard Fortin. Les étudiants d'aujourd'hui parviennent facilement à tester des modèles, ce qui les passionne bien plus que la théorie." Avec d'autres chercheurs de CIRANO, le microéconomiste s'apprête par exemple à jumeler pour la première fois les banques de données de l'assurance-emploi et de l'aide sociale. Cette étude, financée par le ministère du Développement des ressources humaines du Canada, devrait permettre de comprendre l'impact des mesures d'employabilité, comme les programmes EXTRA ou PAIE, sur le roulement entre le marché du travail, l'aide sociale, et le chômage, en suivant le parcours des individus sur plusieurs années.
L'économie sous la couverture
En manipulant quotidiennement des montagnes d'informations, Bernard Fortin
a développé au fil des ans une éthique rigoureuse sur
la confidentialité des données. Cette approche lui a permis
de démystifier certaines croyances sur l'économie souterraine
dans un ouvrage publié aux Presses de l'Université Laval,
avec d'autres chercheurs comme Guy Lacroix du CREFA. Une délicate
enquête sur le terrain menée par les sondeurs Léger
et Léger, associée à un croisement de données
de Statistique Canada et une méthodologie originale, leur a permis
de chiffrer à environ 3 % du PIB le montant de l'économie
souterraine, contrairement aux évaluations précédentes
qui s'élevaient jusqu'à 20 %.
Bernard Fortin s'attaque prochainement à un autre sujet délicat, les règles de partage monétaire des ménages, "une véritable boîte noire", comme il le dit lui-même en riant. Mais cette passion pour la recherche fine ne l'éloigne pas pour autant de l'enseignement. Avec autant d'études pointues à son actif, on imagine aisément que Bernard Fortin dispose d'une batterie d'exemples précis pour illustrer des cours un peu arides sur les méthodes économétriques sophistiquées.