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24 avril 1997 ![]() |
La Convention de la Baie James a accéléré les tendances qu'elle devait freiner chez les autochtones. Vingt ans après la signature de l'entente qui devait tout régler, le sociologue Jean-Jacques Simard présente un écrasant bilan statistique du Nord québécois.
Depuis une vingtaine d'années, les Cris et les Inuit du Québec vivent sous le règne de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, une entente qui les place à l'avant-garde des peuples autochtones vers l'autonomie gouvernementale. "Lorsque les gestionnaires du gouvernement prétendent que tel indicateur social s'est amélioré grâce à la Convention ou lorsque des autochtones disent que d'autres indicateurs se sont détériorés à cause de la Convention, je réponds que c'est de la foutaise", dit Jean-Jacques Simard, professeur au Département de sociologie et membre du Groupe d'études inuit et circumpolaire (GÉTIQ). "Il y a eu des changements sociaux importants depuis la signature de la Convention mais les tendances lourdes étaient déjà présentes. La Convention n'a fait qu'accélérer le rythme de changement. Et dans certains cas, elle a même accentué les tendances qu'elle devait combattre", estime le sociologue en appuyant son argumentation sur les tonnes de statistiques contenues dans son dernier ouvrage Tendances nordiques, les changements sociaux 1970-1990 chez les Cris et les Inuit du Québec.
Le sociologue n'est pas tendre envers la Convention. "C'est une convention collective de vie qui, à travers 600 pages, essaie de prévoir toutes les éventualités de l'existence des autochtones. L'entente a été négociée de bonne foi, par des gens plein de bonne volonté qui, dans un délire d'espérance, voulaient régler tous les problèmes sociaux et culturels mais qui, finalement, n'ont fait que reproduire les structures bureaucratiques à la base de ces problèmes." Qu'une bureaucratie autochtone ait succédé à la bureaucratie blanche ne constitue pas une grande victoire à ses yeux: "Je crois même que c'est plus difficile pour des autochtones parce qu'ils sont plus démunis et plus vulnérables face au pouvoir de séduction de la bureaucratie."
La monétarisation de la vie compte parmi les tendances lourdes qui ont transformé les rapports sociaux dans le Nord. "En moins de 40 ans, dit Jean-Jacques Simard, les Inuit, et à un moindre degré les Cris, ont été catapultés d'une société traditionnelle à un monde qu'ils ne comprennent pas et qui fait naître en eux des aspirations qu'ils saisissent mal. Tu veux tout, tu perds tes anciens repères parce que la culture impose des limites aux désirs. D'où le désarroi, la toxicomanie, la violence, le suicide, la négligence envers les enfants, l'effritement de la famille. L'avenir des communautés inuit dans 20 ans, on le voit aujourd'hui dans les ghettos noirs les plus sombres des grandes villes américaines."
La société moderne que les Blancs ont amenée avec eux dans le Nord était pourtant une machine à faire du bien. Comme partout ailleurs où elle a posé le pied, cette société a carburé à l'autodestruction de ce qui était là la veille. "Ces forces libératrices déboussolent et donnent le sentiment de perdre ce qui était avant. Personne ne souhaite un monde où un enfant sur deux meurt à la naissance, personne ne souhaite vivre dans la souffrance, les gens veulent la société moderne même si elle s'accompagne de désarroi et de désespoir profond. L'émancipation se paie par des chaînes dont il faut ensuite se libérer."
Selon Jean-Jacques Simard, la solution pour se libérer de ces chaînes est simple: se gouverner soi-même. Au début des années 1970, il avait d'ailleurs jeté les bases d'un projet de gouvernement autonome autochtone. Ce rêve devait cependant être emporté dans le raz de marée qui a suivi l'annonce du projet de la Baie James et les négociations qui ont conduit à la Convention du même nom. "Quand on m'a demandé mon avis sur la Convention il y a 20 ans, j'ai dit que c'était du "More of the same". L'entente concrétisait dans le droit ce qui existait déjà dans les faits. J'espérais me tromper mais les statistiques rassemblées dans Tendances nordiques me portent à croire que ce n'est pas le cas." C'est maintenant au tour des responsables de la Commission royale d'enquête sur les peuples autochtones de proposer l'autonomie gouvernementale et plus d'argent pour solutionner les problèmes sociaux des autochtones. "Depuis 20 ans, le Nord québécois est un laboratoire vivant qui montre que les solutions qu'ils proposent ne règlent rien.
Le discours sur la survie des Inuit présente des parallèles fascinants avec la survie des Canadiens-français, dit-il. "Nous sommes des autochtones moins bouleversés. Tout comme la Révolution tranquille ne s'est pas faite à partir d'Ottawa, les Cris et les Inuit doivent se sortir eux-mêmes de leurs problèmes. Et, pour y arriver, il ne suffit pas de remplacer les bureaucrates blancs par des bureaucrates autochtones. Il faut changer les coeurs. Tout ce qu'on peut faire comme chercheurs pour les aider, c'est leur apporter nos connaissances."
Tendances nordiques, les changements sociaux 1970-1990 chez les Cris et les Inuit du Québec, Jean-Jacques Simard (direction et rédaction), Jean-Pierre Garneau, Marco Gaudreault, Solande Proulx, Richard Robitaille (collecte, saisie et traitement des données), Jean-Francois Langlais (composition et infographie), décembre 1996, GÉTIC, 256 p.